08/07/2013

Il faut sauver le soldat Di Rupo



Elio, que faire ?
C’est le 21 avril, lors de son Congrès tenu à l’ULB, que le PS a lancé sa grande opération de réflexion baptisée « Citoyens engagés ». « L’opération se décline en 25 thématiques et plus de 120 questions. Au total, près de deux cents personnes venant de tous horizons ont d’ores et déjà contribuées déjà à cette réflexion. Pour chaque question, le PS a en effet demandé à des personnes ressources de rédiger un texte d’une dizaine de pages » précise le site du PS (fautes comprises).
Parmi ces contributions, une a particulièrement retenu notre attention : un texte attribué à Anne Demelenne, la Secrétaire Générale de la FGTB, « L'Action Commune en 2013 : Pourquoi et Comment ? » [1]. Au moment où la politique du PS est de plus en plus contestée par des syndicalistes, la démarche n’est pas innocente…
Un laborieux rappel historique sur le (non)fonctionnement de l’Action Commune Socialiste, une logique d’appareil politique qui cherche à justifier tous les compromis et compromissions, pratiquement aucune références syndicales : tout dans ce texte sonne faux, on n’y sent pas une logique syndicale, même pas celle qui est utilisée d’ordinaire par la bureaucratie syndicale social-démocrate…
La première impression c’est : « Anne Demelenne a-t-elle vraiment écrit ce texte ?»

Des raccourcis historiques…
Relevons d’abord cette erreur grossière de l’auteure : elle situe la guerre civile espagnole dans les années cinquante… (p.2) « Dans les années 50, son implication dans le cadre de la Guerre civile espagnole est importante et témoigne d’une grande solidarité » le texte semble maladroitement repris, sans aucune vérification, du site de l’Institut Liégeois d’Histoire Sociale[2]
Le document fait l’impasse sur les 60 premières années du mouvement ouvrier organisé, et notamment sur les relations entre Parti et Syndicat. Selon Pascal Delwit « Jusqu’en 1945, le syndicat socialiste – la Commission syndicale créée en 1898 puis la Confédération générale du travail, CGTB – était organiquement lié au parti » [3]. L’Action Commune n’existait pas encore, c'était le POB qui contrôlait tout, POB qui a été dissous par son président (De Man) qui s'est rallié à l'Ordre nouveau. « A la libération, ce lien constitué est officiellement défait, contre la volonté d’une partie des membres et des cadres du parti. La FGTB devient autonome »[4].
Les conquêtes sociales du mouvement ouvrier semblent tombées du ciel. Le texte ne voit que l’action linéaire d’un « pilier socialiste qui s’est établi dans la société belge depuis la création du Parti Ouvrier de Belgique en 1885 ». Pas un mot des nombreuses et longues luttes qui ont été nécessaires pour les arracher : « …l’affiliation au Parti entraînait ipso facto l’affiliation aux autres éléments du mouvement socialiste. C’est grâce à cette action globale qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Parti socialiste et ses différents éléments ont obtenu la création d’un Etat social fort qui ancre aujourd’hui encore la Sécurité sociale et la concertation sociale au cœur même de notre modèle social. » (p.1) Anne Demelenne oublie d’expliquer la réalité de cette époque : au sortir de la guerre les classes dominantes ont peur du mouvement syndical sorti de la Résistance, elles ont peur d’une vague révolutionnaire en Europe et font donc des concessions sur la Sécurité Sociale. A ce moment l’Action Commune Socialiste n’est pas encore constituée, c’est donc un fameux raccourci de lui attribuer la conquête de la Sécurité Sociale !
Les seuls moments où l’on évoque les luttes c’est quand elles gênent le PS, le texte préfère d’ailleurs utiliser d’autres mots : on parle de « dissensions », de « tensions perceptibles» entre le PS et la FGTB (grève des métallurgistes de1957, grèves tournantes entre 1977 et 1981, grèves et manifestations contre le Plan Global (1993-1994), grèves et manifestations contre le « Pacte des générations » (2005).

… au grand écart dans la situation d’aujourd’hui
Le document pose la question « Peut-on toutefois dire que le dialogue et la collaboration entre les différentes parties sont idéales ? » et répond aussitôt : « Ce constat semble peu approprié en particulier lorsqu’on prend en compte certaines tensions présentes entre le parti et la FGTB. Ces tensions sont toutefois relativement inévitables. En particulier lorsque le PS participe à une majorité gouvernementale et doit prendre part à l’adoption de décisions qui sont le fruit d’un consensus ou plutôt d’un compromis. » (p.4) Anne Demelenne semble ne pas se rappeler que depuis mai 1988 le PS est au pouvoir et que, Action Commune ou pas, la situation des travailleurs, des pensionnés et des chômeurs n’a pas cessé de se détériorer, en particulier en raison de mesures prises par des ministres socialistes.
Voilà la clef du problème : partage des tâches oblige, la direction syndicale a le droit, au mieux, d’émettre des critiques, mêmes si elles provoquent une certaine « tension », mais le PS lui, « doit prendre part à l’adoption de décisions ». Anne Demelenne lui trouve même des « circonstances atténuantes » : « Face aux autres membres de la majorité, le PS est assez isolé (…) il ne peut endiguer totalement les revendications outrancières des autres partis (transferts de compétences, dégressivité des allocations de chômage, réforme des fins de carrière, flexibilité, …) » (p.4)

Ils ont fondé tellement d’espoir dans le fait d’avoir un Premier Ministre socialiste

Elio, que faire ?
La conclusion d’Anne Demelenne laisse perplexe : « Un travail de reconstruction est à faire par rapport à la confiance perdue chez certains militants de la FGTB. Ils ont fondé tellement d’espoir dans le fait d’avoir un Premier Ministre socialiste, que la déception est d’autant plus grande au regard de l’orientation de certaines décisions prises. Il ne faut pas nier cette vérité, même si elle est difficile à dire. » Anne Demelenne considère donc que sa tâche consiste à reconstruire la confiance perdue dans le PS ? De fait, elle n’hésite pas à se lancer à l’eau pour « sauver » le parti et le chef : « Cela n’enlève rien au courage d’Elio qui, dans une période de crise sociale et politique profonde, doit garder la maison du peuple au milieu du village tout en respectant ses engagements socialistes. » (p.5) Oubliée la petite phrase du leader-maximo aux militants de la CGSP en janvier 2012 : « Vous conduisez les citoyens vers l'abîme ». Oubliée la déclaration de Paul Magnette, le président du PS qui juge les syndicats malhonnêtes d'affirmer que le gouvernement "bidouille" l'index. On comprend mieux pourquoi Anne Demelenne a été applaudie au Congrès du PS …
Quelques jours après avoir bouclé son texte elle répondait aux questions de « Vers l’Avenir »[5]
« Vous avez été la personnalité la plus applaudie au congrès. Vous rendez au PS une caution de gauche, non ? Ceux qui me connaissent savent que je n’ai pas l’habitude de me faire instrumentaliser. Mais j’assume mes opinions. Par ailleurs, c’est la base militante qui m’a applaudie. »
Dans la même interview elle précise sa conception de l’indépendance syndicale : « Tout n’est pas blanc ou noir. L’action politique est importante. Le poujadisme serait la pire des choses. Et l’action syndicale est indépendante. Il n’y a, dans notre chef, ni allégeance ni compromission ». Pourtant elle n’hésite pas dans son texte à offrir les affiliés de la FGTB sur un plateau au PS : « si le syndicat n’est plus, comme jusqu’au milieu du XXème siècle, le bras armé du parti, il ne faut pas non plus accepter un éloignement trop important des deux parties et laisser un fossé insurmontable s’installer entre eux. Malgré le traditionnel « eux, c’est eux et nous, c’est nous », nous restons véritablement des acteurs et l’idéal serait, des alliés objectifs (…) C’est une opportunité pour le PS car nous gardons une certaine légitimité, au regard du nombre de nos affiliés qui est chaque année croissant…. » (p.5) Que l’alliance avec la FGTB soit opportune pour le PS, car elle lui permet de profiter de la légitimité syndicale, c’est évident. Mais où diable se niche l’opportunité de cette alliance pour les travailleurs ?

Un pont trop loin
Ces derniers extraits nous ramènent à nos interrogations initiales : ce texte semble sorti d’une plume distante, un copié/collé dont on n’a pas biffé toutes les références d’origine. On dirait que c’est le politique qui pose les questions auxquelles il s’empresse de répondre en imitant la syndicaliste.
Nous en étions là à nous poser ces questions lorsque nous avons eu l’idée de vérifier les propriétés du fichier PDF de la brochure.
Oh ! Surprise ! Le système nous indique que l’auteur du texte serait Gilles Doutrelepont. Un petit détour par Google, et la boucle est bouclée. Gilles Doutrelepont est actuellement directeur-adjoint de l’Institut Emile Vandervelde, le Centre d'études du PS. Habitué des Cabinets, en 2007 il fut aussi désigné par Elio Di Rupo comme « Délégué à la rénovation du parti ». A l’époque le site du PS écrivait à propos de cette noble tâche : « Le Délégué Général à la Rénovation doit plutôt être vu comme un animateur tout terrain. Il est au service des membres et plus généralement des personnes qui partagent les valeurs du PS. Il est chargé d’aider à redonner de la vie partout dans le Parti. Dans ce sens, il soutient auprès des fédérations et des sections et USC toutes les initiatives qui visent à remettre le débat au centre du PS. »
Serait-ce donc lui l’auteur du texte signé Anne Demelenne ?
« Il est au service des membres et plus généralement des personnes qui partagent les valeurs du PS »… pour écrire des brochures aussi ? Si c’est l’explication, cela veut dire que c’est le Boulevard de l’Empereur qui dicte sa loi à la rue Haute. Que le statut d’ « observatrice » d’Anne Demelenne au Bureau du PS ne vise qu’à donner une fausse image d’indépendance syndicale. Et que les militants et les instances de la FGTB sont manipulés et sacrifiés pour les intérêts du PS. L’entourloupe de la négociation d’un compromis sur le statut ouvrier/employé (aussitôt adopté par un Conseil de Ministres restreint) sans passer par une instance significative de l’organisation en apporte une nouvelle illustration.

Sœur Anne…
Nous posons la question à Anne Demelenne. Si elle prend la peine de nous répondre, elle dira quoi ? « Non, c’est au sein de la FGTB que je me suis fait aider» ? Ou « j’endosse la responsabilité totale de ce texte ».
Rien n’y change. On sent la patte du PS qui prépare des élections cruciales avec autant de sérieux qu’il met à préparer ses plans d’austérité au gouvernement et autant d’agressivité contre les syndicalistes qui les combattent. Et tout autant de soin à cajoler des directions syndicales qui lui sont soumises.
Nous posons aussi la question à tous les syndicalistes qu’ils aient ou pas « fondé tellement d’espoir dans le fait d’avoir un Premier Ministre socialiste » : croyez-vous que c’est en léchant les bottes du Premier Ministre qu’on va stopper sa politique de rigueur ? Pensez-vous qu’il est « utile » de sacrifier l’indépendance syndicale, gage de votre liberté d’action, pour sauver un parti qui s’est fourvoyé dans la gestion du capitalisme ?

La Commission Syndicale de la LCR 

[1]  http://www.citoyensengages.be/getattachment/49e65bc3-a8d8-4d68-984f-e4f8f05012fc/L%E2%80%99Action-commune-en-2013%C2%A0-pourquoi-et-comment.aspx
[2] http://ilhs.e-monsite.com/pages/articles/action-commune-apercu-historique-d-une-solidarite-socialiste-a-travers-ses-dates-cles.html#page3
[3]  http://dev.ulb.ac.be/sciencespo/dossiers_membres/delwit-pascal/fichiers/delwit-pascal-publication177.pdf
[4] idem
[5]  http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20130429_00303623

07/07/2013

Encore un « bon compromis » ?



La manière dont se sont déroulées et conclues les 25 dernières heures de négociation sur les statuts ouvriers/employés ne laisse aucun doute sur la volonté du gouvernement de pousser les directions syndicales à faire l’impasse sur la consultation de leurs militants sur la base d’une évaluation sérieuse du contenu de ce fameux compromis. Le texte signé par la Ministre de l’Emploi Monica De Coninck a été présenté et approuvé immédiatement par un Conseil des Ministres restreint. Il peut donc entrer en application avant la date butoir du 8 juillet. « Vendredi, les partenaires sociaux ont accepté un texte rédigé de la plume de la ministre de l’Emploi. Subtilité : ils ne l’ont pas signé, pour n’avoir pas à le faire avaliser par leur base, avec les risques que cela engendrerait » indiquait Le Soir ce samedi.
A l’intérieur de la FGTB, certaines dispositions étaient pourtant prises au cours de la semaine dernière qui auraient pu laisser croire que l’organisation syndicale se préparait à des actions devant les tribunaux n’espérant plus (ou ne souhaitant pas ?) un compromis boiteux.
Dans l’ombre d’une intense campagne médiatique autour des tribulations du palais royal, le sort de millions de travailleurs a donc été scellé en douce. Et les instances prévues cette semaine (Bureau Fédéral à la FGTB ce mardi 9/07) sont donc de pure forme.

En début de carrière : plus vite dehors !
Pendant les deux premières années de carrière, le préavis sera de 1 semaine par trimestre, avec un minimum de 2 semaines (14 jours). Alors qu'auparavant le préavis minimum des ouvriers était de 4 semaines (28 jours) et de 13 semaines pour les employés. Voilà qui va réjouir les patrons qui souhaitent une plus grande liberté pour engager et… dégager. Aujourd’hui dans les entreprises, il y a une grande rotation. Peu de travailleurs bouclent leur carrière dans la même entreprise. Partout on vante cette mobilité professionnelle. C’est donc une mesure qui, à l’avenir, va représenter un recul important pour un grand nombre de travailleurs. Couplée au recours à l’intérim et au Contrats à Durée Déterminée elle va accroître considérablement la précarité des contrats. Et devinez qui sera encore particulièrement frappé par ces mesures : les jeunes et les femmes évidemment, dont les contrats sont souvent des contrats précaires !
Certes les ouvriers verront leurs préavis évoluer positivement après 6 mois d’ancienneté (soit 1,4 millions de travailleurs actuels) mais à l’opposé, 2 millions d’employés verront leur préavis réduits drastiquement. Notamment pour deux tiers d’entre eux pour qui le calcul (plus favorable) de la fameuse Grille Claeys était d’application en raison du dépassement d’un plafond de revenus. Dans « l’accord » la grille Claeys est abandonnée. En outre les patrons obtiennent quelques avantages supplémentaires (les compléments sectoriels venant s’ajouter aux allocations de chômage seront déduits du délai ou de l’indemnité de préavis. Idem pour l'outplacement). Autrement dit, les travailleurs*ses devront eux-mêmes supporter une partie du coût de leur licenciement !
Ici aussi il faut bien réfléchir que la tertiarisation de l’économie et l’évolution des professions conduit de plus en plus à engager des appointés. La grande masse des travailleurs de demain seront donc moins bien protégés contre les licenciements. Anne Demelenne, secrétaire générale de la FGTB estime quant à elle « qu’il maintient un niveau de protection suffisant pour ces derniers, sans étrangler les entreprises ni mettre en danger les finances de l’Etat ». Un « bon compromis », quoi.
Nous ne pouvons bien sûr pas nous laisser berner par ces discours béats d'un prétendu accord « où tout le monde gagne ». Dans cette affaire où l'ensemble des salarié*es avaient beaucoup à gagner, cette possibilité s'est retrouvée habilement détournée en dernière minute dans le secret des bureaux feutrés du ministère. Mais puisque cette décision a été prise sans respecter l'autonomie et la démocratie syndicales et qu'il reste encore plusieurs dossiers à régler (période d'essai, pécule de vacances, motif de licenciement), ce n'est pas encore fini. Peu importe que le gouvernement passe en force, il faut espérer que les instances syndicales refusent cette compromission. Et qu'elles préparent la nécessaire bataille commune pour l'harmonisation vers le haut des statuts et contre le blocage des salaires. Un texte approuvé de manière autoritaire par le pouvoir politique peut être retiré si la pression de la rue est assez forte, comme ce fut le cas dans la lutte victorieuse contre le CPE en France en 2006 ou l'an dernier encore, celle des jeunes québecois*es contre la hausse des frais de scolarité. Les organisations syndicales et les travailleurs*ses ont donc tout à gagner à ne pas se laisser faire.

paru sur La Gauche