12/03/2013

Pour un écosyndicalisme de combat !

Par Daniel Tanuro

Quel est le point commun entre la volonté de GDF Suez de relancer les centrales nucléaires de Doel 2 et de Tihange 3, d’une part, et les fermetures d’Arcelor Mittal, de Ford Genk et de Caterpillar Gosselies, d’autre part ? L’impasse historique du capitalisme. Aveuglé par la concurrence, obnubilé par l’appât du gain, ce système absurde n’a plus rien d’autre à offrir à l’humanité que la destruction sociale et écologique.
Alors que les richesses accumulées seraient plus que suffisantes pour assurer le « buen vivir » de toutes et tous sur cette Terre, les patrons et les gouvernements à leur service sèment le malheur des 99% en tronçonnant les salaires, l’emploi et la protection sociale. Alors que les connaissances scientifiques et techniques permettraient de léguer un environnement de qualité à nos enfants, la course au profit empoisonne l’eau, l’air et les sols tout en provoquant une catastrophe climatique irréversible, aux conséquences sociales incalculables.
Vingt-quatre millions de chômeurs et de chômeuses dans l’Union Européenne, et ce n’est pas fini. Que faire ? Premièrement, résister et s’organiser pour la résistance la plus massive, opiniâtre et déterminée possible. Le temps du syndicalisme bureaucratique est définitivement révolu.
Les actions presse-bouton et les promenades Nord-Midi, ça suffit. L’heure de la bataille a sonné. Face à la brutalité des patrons voyous et à la perfidie des politiciens, il n’est d’autre solution que de renouer avec les meilleures traditions des luttes pour l’émancipation : la participation de toutes et tous au combat par la démocratie la plus large, l’occupation des entreprises, l’élection de comités de grève.  La concertation est morte, place à la lutte de classe !
Deuxièmement, élaborer un programme à la hauteur des enjeux. Une fiscalité juste, l’annulation de la dette illégitime et la réduction radicale du temps de travail sans perte de salaire et avec embauche sont des éléments clé. Mais il faut aller plus loin et, là aussi, l’histoire nous livre ses enseignements. Dans les années cinquante du siècle passé, sentant venir la crise du charbon et de l’acier provoquée par le parasitisme des holdings, la gauche de la FGTB proposait un programme de réformes de structures anticapitalistes dont la clé de voûte était la nationalisation sous contrôle ouvrier et sans rachat des secteurs de l’énergie et de la finance. Quoiqu’adopté en congrès et porté dans la rue par la grève générale de l’hiver 60, ce programme a ensuite été rangé au rayon des accessoires. Un demi-siècle plus tard, on paie cher cet abandon. Mais ce programme existe toujours. Sortons-le des tiroirs ! Inspirons-nous en pour jeter les bases d’une politique alternative et tracer un chemin vers l’abolition du capitalisme.
Evidemment, le monde a bien changé. Il y a la mondialisation du capital, l’Union Européenne et… la crise écologique. Ces changements majeurs sont source de désarroi. En particulier, face à la destruction de l’emploi, nombreux sont les syndicalistes qui croient pouvoir remettre la défense de l’environnement à plus tard. Ils ont doublement tort. D’abord parce que les pauvres sont les premières victimes du massacre de la planète. Ensuite parce que la réponse au saccage capitaliste est un élément décisif de l’alternative.
Eviter des catastrophes écologiques implique de réaliser dans l’urgence une gigantesque mutation vers une économie sans carbone fossile ni énergie nucléaire. Il s’agit d’isoler tout le parc immobilier, de généraliser des transports publics gratuits et de qualité, de bâtir un nouveau système énergétique décentralisé et 100% renouvelable, de sortir de l’agrobusiness… Le marché ne le fera pas, ou trop peu et trop tard, et à coups d’injustices supplémentaires. Le défi ne peut être relevé que par un plan public européen mobilisant au service de la collectivité les richesses volées par le capital. Certes, ce plan implique de sortir du tout automobile, de réduire la production matérielle et les transports. Mais, pour le mettre en œuvre, on a besoin d’industrie et d’ouvriers, de verre et d’acier, d’engins et de machines, d’ingénieurs et d’employés !
Voilà le constat sur base duquel la gauche syndicale d’aujourd’hui devrait élaborer un programme écosocialiste d’ensemble, cohérent, et dont la formidable légitimité sociale lui permettra de gagner l’hégémonie. Les obstacles sont formidables. Les affronter jusqu’au bout requerra notamment de forger un nouvel instrument politique. Mais il n’y a tout simplement pas d’autre voie.

Daniel Tanuro

publié sur www.lcr-lagauche.be

08/03/2013

« Le besoin de gauche est plus fort que jamais »



Une Interview de Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la Centrale Nationale des Employés (CNE-CSC) 


La Gauche : Cela fait près d'un an que la FGTB Charleroi a appelé à la création d'une alternative anticapitaliste à gauche du PS et d’Ecolo. Tu t'es prononcé sur cette question dans une interview de La Gauche en novembre 2012. La CNE a ensuite envoyé une représentante à la dernière réunion à Charleroi autour de cet appel. Est-ce qu’aujourd’hui la nécessité de cette alternative politique est toujours d’actualité ? Que signifie la présence de la CNE dans ce processus ?
Felipe Van Keirsbilck : La présence d’une représentante de la CNE à la dernière réunion était le reflet de notre intérêt pour la démarche de ce groupe unitaire en formation. L'actualité sociale et politique, avec les ravages des licenciements massifs et fermetures à Arcelor, Ford-Genk, et tout récemment Caterpillar, démontrent l’urgence du « besoin de gauche ». L'appel de Daniel Piron et ses camarades carolos est pertinent. Cette actualité prouve une fois encore que la politique libérale d’austérité menée en Belgique comme ailleurs en Europe détruit l’emploi. Nous avons conscience de la radicalité et de l’urgence de la situation européenne. Aujourd'hui plus que jamais, il faut arrêter les petits jeux de compromis, le consensus mou des partis du libéralisme social...Continuer les faux-semblants dans les débats politiques devient suicidaire pour les travailleurs, cela donne la dégressivité du chômage, les exclusions, le démantèlement des services publics, des prépensions et des conventions collectives, etc. Cette situation exige de nous le courage de s’exprimer clairement pour faire exister de  réelles alternatives de gauche.  Comme je le disais en novembre dernier, le besoin d’un grand parti de gauche se fait de plus en plus urgent chez nous. Nous avons besoin de réponses convaincantes et, en Belgique, le problème de la représentativité politique des intérêts des travailleurs n’est toujours pas résolu. Notre intervention ne signifie pas nécessairement d’abandonner nos attentes à l’égard du PS et d’Ecolo, voire du CDh, et c'est une des nuances que je souhaite apporter par rapport à l'appel de mai 2012. Aujourd’hui 80%, voire 90% de la population, ont des intérêts similaires concernant les politiques à mener, nous parlons des ouvriers, des employés, des cadres, des pensionnés, des petits indépendants, des chômeurs, des femmes, des jeunes, des migrants, etc… Toutes ces personnes ne trouvent pas aujourd’hui de grande force représentative de leurs intérêts. Il leur faut une force politique d'une taille significative, pas une force qui fait 3 ou 4% aux élections, même si ce résultat pourrait être vu comme positif au regard des résultats de la gauche radicale depuis 30 ans. Pour les syndicats c’est une urgence de faire réapparaître des forces politiques qui rompent dans les faits, dans les actes, avec le pouvoir de la finance, avec  les idées libérales dont la social-démocratie européenne (y compris une bonne part du PS) est complètement imprégnée. Nous avons besoin de partis qui défendent les intérêts de la majorité sociale. Ce besoin est toujours aussi clair qu’il y a 6 mois, il n’y a toujours rien de résolu à ce stade-ci, même si je salue l’initiative prise à Charleroi.
Quels ont été les échos à la CNE et plus largement à la CSC de l’appel de la FGTB Charleroi Sud Hainaut, et de ton interview en novembre ?
L’écho de l’appel fut limité dans l’opinion publique en général, mais j’ai reçu énormément de messages positifs de militants dans la CNE et ailleurs dans la CSC, les échos étaient vraiment positifs, parce que les demandes sont très fortes à l’idée de résoudre le problème de représentativité politique. Les syndicats doivent faire un travail pour qu’un ou plusieurs partis larges et réellement de gauche prennent place en Belgique. Ça pose la question de la stratégie à suivre, or les partis de la gauche radicale  ont différentes stratégies liées entre autres à leur implantation. Par exemple, le PTB n’a pas encore de députés et a un certain nombre d'élus locaux, là où le Mouvement de Gauche voudrait probablement conserver son député régional.
Lors de la dernière réunion à Charleroi, un communiqué unitaire fut rédigé, annonçant la création d’un comité de soutien à l’appel du Premier Mai 2012 et l’organisation d’une rencontre de lutte juste avant le Premier mai 2013, à l’issue de laquelle une déclaration sera adoptée. Quel est ton avis sur la création de ce comité ? Que penses-tu du fait que toutes les formations de la gauche radicale y soient présentes ? Quels sont les échos de cette nouvelle étape à la CNE et à la CSC ?
D'abord, un point très positif que je tiens à souligner, c'est le front commun qui se dessine sur cette question entre des composantes de la CSC et la FGTB, au départ  au niveau local, sur Charleroi - il faut bien commencer quelque part. Toutes les victoires sociales en Belgique ont été des victoires obtenues en front commun. Et il est également très positif que les différentes organisations de la gauche de gauche continuent à dialoguer. Troisième élément positif, l’idée d’adopter une déclaration en front commun pour le Premier mai constitue une réappropriation de la symbolique de lutte du Premier mai, par rapport à l’évolution de cette journée, aujourd'hui dépolitisée et presque folklorique, que le PS et même le MR tentent de récupérer. On pourrait rêver, comme dans tous les autres pays, d’en faire une fête unitaire et de lutte des travailleurs. L’histoire a fait que la CSC n’a  jamais mis à l’honneur cette journée, mais les temps changent et je me réjouis à l’idée de ce meeting unitaire. Cependant, j’ai aussi deux inquiétudes quant à la formation de ce comité de soutien, la première étant de clarifier que notre un soutien est non partisan et ne contribue au comité que pour signifier notre « besoin de gauche », pas un soutien à tel ou tel parti présent ou à venir. La CNE et la CSC ont une indépendance syndicale qu’elles n’abandonneront ni aujourd’hui ni demain, et ne peuvent s'identifier ou se réduire ni à un parti politique ni à un front d'organisations politiques tel que celui qui est en gestation. L’émergence souhaitable d’un front unitaire de gauche à la recherche d’unité et de cohérence ne signifie pas un chèque en blanc de la CNE. En cas de concrétisation vers un nouvelle force politique anti-austérité, la relation de la CNE avec celle-ci serait la même (exigeante et indépendante) qu’avec les autres organisations politiques. Nous attendons des partis de gauche, de tous les partis de gauche, qu’ils joignent les actes à la parole, qu’ils amènent la preuve que la gauche ce n’est pas juste une étiquette, mais bien le contenu du flacon. C’est pourquoi, pour nous, ce comité ne doit pas se constituer dans une démarche excluant a priori le PS et Ecolo.  Il ne serait pas opportun de déclarer que l’avenir des travailleurs se fera totalement en-dehors des membres des partis qui ont des restes d'une tradition et d'une histoire sociale et ouvrière. Il reste des militants au PS, chez Ecolo et même au CDH qui défendent une voix de gauche, et ces gens doivent être encouragés au lieu d’être rejetés loin du processus. Le comité devra choisir entre apporter son soutien à quelques partis ou bien constituer une unification de la gauche courageuse et claire.
Dans l'interview récente de Daniel Piron sur le site web de La Gauche, suite à la décision de créer ce comité, il a déclaré qu’il y a une différence entre l’indépendance syndicale et l’apolitisme, les syndicats ayant une responsabilité politique, d’où la nécessité d'aider un relais politique dont il faut pourtant rester indépendant. Partages-tu son point de vue ?
D’accord à 100% sur l’impossibilité de faire du syndicalisme « apolitique ». Ça n’aurait aucun sens ! Dès lors, contribuer à la construction d’un comité tout en gardant notre indépendance syndicale constitue le point le plus délicat pour les syndicalistes politisés mais non partisans. Cela constitue une réflexion importante pour les militants de la CNE. La coalition d’organisations va devoir travailler sur un contenu programmatique, une plateforme de défense des intérêts des travailleurs, se pencher sur la question de la dette, de la fiscalité, de l'Europe, des mesures d’austérité,… Sur ce point je suis complètement en accord avec Daniel, et nous jugerons les différents partis par rapport à leur contenu, qui devra être réellement de gauche. Ce qui compte c’est la rupture avec le libéralisme. Et pour cela ce serait bien de pouvoir compter sur des organisations politiques qui ont des députés. Un parti dont on soutiendrait la création aura pour point de départ la défense des intérêts des travailleurs au sens large. La CNE devra se prononcer et définir son implication en avançant comme organisation – et non pas au nom de quelques individus. Le point fondamental, en résumé, c'est d'aboutir à une base programmatique aussi radicale dans son contenu que l'est la situation actuelle, défendant la sécurité sociale, le plein emploi, le partage du temps de travail, et s’opposant à l’austérité sur une série de points concrets. C'est cette base programmatique à laquelle devrait s'atteler à l'avenir le comité de soutien unitaire, qui servira d'outil pour interpeller les formations politiques, et pourra aider à l'émergence d'une nouvelle force politique significative à gauche, et aider les partis qui se prétendent de gauche à gagner de la cohérence.
Justement, quelles sont les prochaines étapes pour la CNE ? Comment vois-tu son implication dans le comité ?
Avant tout nous allons prochainement avoir des discussions internes, un débat dans nos instances qui va se concentrer d’avantage sur la stratégie et les méthodes que sur l’objectif en soi, avec lequel nous sommes largement d'accord. Ensuite nous devrons nous concentrer sur la construction, en Belgique francophone, d’une coalition large des organisations qui partagent les mêmes intérêts, dans  la CSC et la FGTB. Et enfin, il va falloir se concentrer sur le contenu, sur la situation dramatique de l’Europe aujourd’hui, et établir un programme concret pour combattre la politique d’austérité.
Face à l'austérité et aux licenciements, des luttes plus ou moins importantes émergent un peu partout en Europe. Quels liens ou quelle relation dialectique vois-tu entre les luttes sociales et l'émergence d’une alternative politique ?
Le lien entre les luttes sociales et la question de l'alternative politique est bien évidemment très fort et direct, et d’autant plus marqué par la grande actualité politique. Les travailleurs de Caterpillar savent de quoi je parle... Les travailleurs, rouges et verts, cherchent des solutions et manifesteront d'ailleurs le 14 mars contre l’austérité imposée en Belgique et en Europe. Beaucoup de travailleurs sentent bien que ce qui leur arrive est lié aux politiques d’austérité. L'impact de l'austérité et de la crise en Europe pose à chaque fermeture ou licenciement massif, à chaque dégradation des conditions de travail, la question d'une alternative politique anti-austérité. Et il faut arrêter de s’emmêler les pinceaux dans les discussions stupides pour savoir s’il faut faire de la politique au plan national ou au plan européen. La force perverse du système politique européen est que le pouvoir y devient introuvable. C’est un jeu de miroirs : vous voulez confronter votre gouvernement national, on vous dit « le pouvoir c’est l’Europe » ; vous vous attaquez alors à l’Europe et on vous dit « ah mais ce sont les Etas qui décident ». Il faut briser les miroirs, comprendre le système comme un tout. Les luttes sociales et politiques sont en définitive inextricablement liées, et le renforcement des résistances sociales ne pourra qu'être utile à l'émergence de nouvelles grandes forces politiques de gauche, un bloc de gauche  contre l'austérité.
Interview réalisée par Charlotte et Mauro
publié sur www.lcr-lagauche.be/