18/09/2013

Huit questions, huit réponses sur «indépendance syndicale et politique»



par Denis Horman

La FGTB de Charleroi Sud Hainaut explique le sens de son appel du 1er mai

Le 1er mai 2012, le secrétaire régional de la FGTB Charleroi Sud Hainaut, Daniel Piron, lançait, au nom du comité exécutif de la régionale FGTB, un appel à un rassemblement politique large, sur le champ politique et électoral, à la gauche du PS et d’Ecolo, dans le but de promouvoir une véritable alternative anticapitaliste. Quelques semaines plus tard, le secrétaire général de la CNE (CSC), Felipe Van Keirsbilck, s’exprimait dans le même sens. Plusieurs responsables syndicaux faisaient de même.
Le 27 avril 2013, cet appel suscitait le rassemblement, à Charleroi, de près de 400 personnes: syndicalistes, militant·e·s des mouvements sociaux, des organisations de la gauche radicale... «La vraie gauche est en marche, plus rien ne l’arrêtera», c’est sur ces mots que Daniel Piron allait conclure cette journée de débats et de lutte, appelant à élargir cette initiative en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre. 
Conférence de presse FGTB Charleroi ce 18/09 : de gauche à droite Antonio Zonca (Métal), Carlo Briscolini (Président de la régionale)  et Daniel Piron (Secrétaire Régional)


Pour expliquer le sens et la démarche de son appel du 1er mai, la FGTB de Charleroi vient de sortir, à plusieurs milliers d’exemplaires, un petit fascicule, sous forme de huit questions et réponses,  intitulé «Indépendance syndicale et politique».

La responsabilité du mouvement syndical
«Le syndicat peut-il s’occuper de politique»? C’est la première question à laquelle la FGTB Carolo répond d’emblée: «Non seulement il le peut, mais il le doit». Et de rappeler la Déclaration de Principes de la FGTB mettant l’accent sur la défense d’un projet de société sans classes incompatible avec le capitalisme. Ce qui implique «l’abolition de ce système et son remplacement par un autre, socialiste et démocratique».
Pour la FGTB de Charleroi, «c’est au nom de notre objectif ultime d’une société sans classes que nous luttons contre le pouvoir de la minorité capitaliste et pour le pouvoir aux travailleurs et aux travailleuses. En ce sens-là, oui, nous devons nous occuper de politique».
Pour stopper la régression sociale et imposer des revendications anticapitalistes, «nous avons besoin en premier lieu d’un syndicalisme plus combatif et démocratique», souligne  la brochure de la FGTB Charleroi Sud Hainaut, qui précise en même temps que l’action syndicale ne suffit pas, qu’elle doit être prolongée par une action politique, à tous les niveaux de pouvoir: «Le syndicalisme pur, sans relais politique, n’est pas une solution».
Et là, le constat, déjà avancé dans l’appel du 1er mai 2012, est lucide et tranchant: «Ceux qui se disent nos ''amis politiques'' au parlement et au gouvernement, la social-démocratie et les Verts (…) se sont convertis aux dogmes néolibéraux de la compétitivité et de la privatisation (…). Ces partis ont collaboré et continuent à collaborer à construire l’Europe capitaliste, qui est une machine de guerre contre le monde du travail (…). Du Plan global aux mesures Di Ruppo, en passant par le pacte des générations, ils aident délibérément à faire passer la pilule de l’austérité contre la résistance syndicale». 
Les exemples de la Grèce, de la Grande-Bretagne, du Portugal, de l’Italie et de l’Espagne, avancés dans la brochure syndicale, montrent que les politiques gestionnaires, pratiquées et  appuyées par les partis sociaux-démocrates, ont fait et font le jeu de la droite et de la droite extrême: «Dans ces pays, cette droite en a profité pour former des gouvernements encore plus agressifs contre les travailleurs. Dans ces conditions, la stratégie de l’aiguillon est un piège mortel, nous devons en sortir d’urgence».
La FGTB de Charleroi veut-elle créer un nouveau parti politique?
«Non, nous ne créons pas un parti, ce n’est pas notre rôle. Nous proposons que la FGTB favorise activement l’apparition d’une nouvelle force anticapitaliste sur le champ politique et électoral. Ce n’est pas la même chose».
Comme Daniel Piron l’avait déjà signalé dans l’appel du 1er mai, la brochure souligne que cette force, ce regroupement, qui pourrait à terme devenir un parti, doit avoir pour vocation de s’élargir. Si, sur Charleroi, s’est formé un comité de soutien à l’appel, avec les partis de la gauche radicale, la FGTB de Charleroi invite les membres de gauche du PS et d’Ecolo à rejoindre la dynamique qui se met en place. Elle invite également les intellectuels de gauche, les militants associatifs à se solidariser avec l’appel.

Comment faire concrètement?
Pour la FGTB Charleroi Sud Hainaut, la première chose à faire, c’est de rompre les liens privilégiés avec le PS. C’est ce qu’elle a déjà fait depuis quelque années: «Il ne s’agit pas de dénoncer le PS comme un ennemi ou de le calomnier, mais de comprendre que les liens privilégiés de la FGTB avec le PS, dans le cadre de l ’Action Commune Socialiste, nous empêchent de sortir de la stratégie de l’aiguillon qui nous enfonce dans l’impasse».
En conclusion de la journée du 27 avril à Charleroi, Daniel Piron signalait que le comité de soutien à l’appel du 1er mai était chargé d’élaborer un plan d’urgence anticapitaliste. C’est la deuxième tâche évoquée dans la brochure: «Il s’agit d’élaborer le programme anticapitaliste que nous, en tant que syndicalistes, voulons voir relayé sur le terrain politique (...). Un programme anticapitaliste est la seule alternative possible face à la situation. Nous n’avons pas la prétention, à nous seuls, de l’élaborer dans toutes ses dimensions. Nous en proposerons une  première ébauche, à compléter et enrichir avec d’autres».
Quant au nouveau relais politique, là non plus, il ne s’agit pas seulement d’un relais politique de la FGTB: «Nous voulons que se forme un nouveau relais politique du monde du travail dans son ensemble». Le fait que, du côté chrétien, la CNE s’est associée à la démarche de l’appel du 1er mai est considéré par la FGTB de Charleroi comme un fait d’une très grande importance: «Cela montre que notre stratégie, loin d’être une source de division, peut contribuer au contraire à dépasser certaines divisions historiques du monde du travail».
Cette possibilité de convergence autour d’un projet politique commun n’est pas seulement perçue comme une chance par la FGTB de Charleroi, qui l’a stimulée. Cette démarche montre à la fois la lucidité et la responsabilité assumée par cette régionale syndicale, face à tous ces «experts» et politiciens qui nous prédisent la fin du tunnel pour bientôt: «Nous devons bien voir que cette possibilité de convergence trouve son origine fondamentale dans l’extrême gravité des menaces qui pèsent sur le monde du travail. La classe dominante européenne a lancé une attaque  frontale contre nos acquis sociaux et démocratiques. Elle peut feindre de lâcher un peu du lest à un moment pour éviter une explosion sociale ou une déroute électorale des partis établis. Mais elle n’a pas d’autre voie que de continuer son œuvre de destruction sociale et écologique pour le profit d’une minorité de la population».

Sans le PS, ce sera pire?
C’est parce que ce leitmotiv va inévitablement revenir dans la campagne électorale du PS que la FGTB de Charleroi pose elle-même la question: «Mais tout cela (l’appel du 1er mai, ndlr) n’est-il pas une dangereuse utopie, alors que la droite et le patronat sont à l’offensive et que la Belgique est «au bord du gouffre», ce qui fait courir de graves dangers à la Sécurité Sociale?».
«Au contraire», répond la FGTB régionale, «croire qu’en se pliant à la logique capitaliste, faire le gros dos en attendant que ça passe, cela va nous aider, c’est être particulièrement naïf. Nous sommes le dos au mur, nous n’avons pas d’autre issue que la lutte et l’unification internationale des luttes dans la perspective d’une autre Europe (…) et aider à l’émergence et au développement de cette force politique nouvelle, anticapitaliste, à gauche du PS et d’Ecolo, pour qu’elle devienne la plus large possible. Voilà la stratégie politique que nous proposons à la place de celle de l’aiguillon. C’est le sens de l’appel que nous avons lancé le premier mai 2012».
Quant au «sauvetage de la Belgique», c’est souvent un faux prétexte pour imposer des reculs sociaux: «Après 540 jours de négociations «communautaires», la note du premier ministre Di Rupo, au nom du compromis «pour sauver la Belgique», comprenait toute une série de revendications de la N-VA, alors même que ce parti n’était finalement pas partie prenante de la majorité gouvernementale».
Pour la FGTB Charleroi Sud Hainaut, la solidarité nationale, «celle de la solidarité de classe, celle des travailleurs», est fondamentale et «toute rupture de cette solidarité nationale conduit à moins de moyens pour organiser la solidarité». Et de prendre l’exemple de la Sécurité sociale,  sachant que  dans la prochaine campagne électorale, le PS reviendra sur un autre de ses leitmotiv: «Nous sommes le dernier rempart, au gouvernement, contre la scission de la Sécurité sociale»!
C’est vrai qu’une grande menace pèse sur notre Sécurité sociale. «Sa scission serait une catastrophe pour le monde du travail», reconnaît la régionale FGTB: «il faut l’éviter, mais comment? En acceptant la poursuite du démantèlement des acquis sociaux? En soutenant la monarchie, soi-disant ''trait d’union entre les Flamands et les wallons''. Ce choix entre la peste et le choléra est celui que le gouvernement Di Rupo nous impose. Nous le refusons».
Et là, la régionale FGTB avance une revendication qui devrait être portée par le mouvement syndical sur le terrain politique: «Nous disons aux politiques: la Sécurité sociale appartient aux travailleurs et travailleuses; les cotisations patronales ne sont pas des ''charges'', mais du salaire différé et collectivisé; nous exigeons la gestion ouvrière et démocratique de la Sécurité sociale».

Et notre indépendance syndicale dans tout ça?
«Nous sommes un contre-pouvoir indépendant de tout parti politique et nous le resterons toujours, même dans une société non capitaliste». Et la FGTB carolo de préciser: «Ce qui menace l’indépendance syndicale aujourd’hui, ce n’est pas que nous nous occupions de politique, c’est la manière dont nous nous en occupons (…). Nous organisons des mobilisations contre l’austérité et, systématiquement, la stratégie de l’aiguillon nous amène à sacrifier nos revendications pour ne pas mettre en danger la politique du PS et d’Ecolo, au nom de ce ''moindre mal''. On en arrive à un point tel aujourd’hui que certains responsables syndicaux, au nom de ce ''moindre mal'', ne veulent même plus organiser la lutte contre l’austérité».
La stratégie alternative proposée par la FGTB Charleroi Sud Hainaut permet, à ses yeux, de retrouver «une vraie indépendance syndicale»: élaborer nous-mêmes, en tant que mouvement syndical, notre programme de lutte, en fonction d’une seule préoccupation: les besoins des travailleur·euse·s. En les encourageant à s’impliquer activement et démocratiquement, afin que ce programme et ces luttes soient les leurs. «Alors, au lieu que les partis nous dictent leur politique, c’est nous qui exigerons des partis qu’ils s’engagent à lutter avec nous pour ce programme».
Tout en proposant que le mouvement syndical «favorise activement l’apparition d’une nouvelle force anticapitaliste sur le champ politique et électoral, une force aussi fidèle aux intérêts du monde du travail que les forces existantes sont fidèles aux intérêts des patrons», la régionale FGTB Charleroi Sud Hainaut tient à rappeler, en tant qu’organisation syndicale, son indépendance absolue vis-à-vis de tous les partis politiques.

En soutien à la démarche de la FGTB Charleroi Sud Hainaut
Ayant compris immédiatement l’importance de l’Appel lancé le premier mai 2012 par le secrétaire régional de la FGTB Charleroi Sud Hainaut, notre organisation, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) s’est investie activement dans le comité de soutien à cet appel.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de notre pays que des secteurs du mouvement syndical rompent avec le Parti socialiste, mais c’est la première fois qu’un pan entier de la FGTB se prononce pour une alternative politique à la gauche du PS et Ecolo et se met à agir concrètement pour favoriser le rassemblement et la structuration d’une nouvelle force politique anticapitaliste et son développement sur  le champ politique et électoral.
La LCR a compris immédiatement l’importance de cet événement. Elle appelle la gauche anticapitaliste à prendre ses responsabilités sans esprit de boutique pour que la brèche s’élargisse au maximum.