21/06/2013

Le temps des équilibristes…


Par Farid Khalmat

Des orages violents, des inondations et le début d’été pourri, que pouvait rêver de mieux le premier Di Rupo ? Les gens seront ainsi moins enclins à se préoccuper des mauvais coups qui se préparent au gouvernement. Au menu un trio spécialement mijoté par nos chefs : le dossier du statut ouvrier/employé, le blocage salarial, et de nouvelles coupes budgétaires, avec en toile de fond une dérive autoritaire, anti-démocratique dont le TSCG est la clef de voute.

Dossier ouvrier-employé : je te tiens, tu me tiens par la barbichette
Dans ce dossier, politiques, responsables patronaux et syndicaux semblent d’accord sur un point : il faut « trouver une  solution rapidement sinon… » Sinon quoi ? Sinon dès le 9 juillet un travailleur qui viendrait à être licencié par son employeur (par les temps qui courent il n’est pas sûr qu’il le veuille vraiment) serait en droit de réclamer un préavis équitable ! Notons donc au passage que  ce que cherchent désespérément les « interlocuteurs sociaux » serait un compromis en-dessous de ce droit…
Aujourd’hui en Belgique 70% des travailleurs ont droit, en cas de licenciement, à des préavis équivalents à ceux des « employés », ceci grâce à des Conventions Collectives qui ont déjà réduit, grâce au combat syndical, les discriminations que subissaient les ouvriers. Toute harmonisation vers le bas serait donc un recul pour la grande majorité des travailleurs et donc une victoire pour les employeurs qui pourraient ainsi avoir les mains libres pour « dégraisser » plus facilement. Et il n’est pas certain que les quelques petites miettes accordées aux 30% qui ont aujourd’hui une moins bonne protection contre le licenciement tiendraient longtemps face à l’offensive patronale généralisée.
Il faut bien constater que les directions syndicales n’ont pas mis toute la pression nécessaire pour faire comprendre cet enjeu et surtout pour mobiliser en conséquence. Elles se sont laissées trainer jusqu’à la veille des vacances et la date fatidique du 8 juillet. De plus elles sont entrées dans le jeu du gouvernement en se renvoyant la « patate » chaude à tour de rôle. Le dossier qui était sur la table du gouvernement leur a été renvoyé et est actuellement traité par les interlocuteurs sociaux qui doivent répondre à 12 questions contenues dans la demande du gouvernement. Bien évidemment les patrons bloquent ces négociations.
Au cours d’une réunion récente de son bureau, la FGTB est amenée à constater « nous devons rapidement communiquer, sensibiliser et mobiliser sur ce dossier. A ce propos, le Bureau FGTB du 25 juin 2013 fera le point et tirera les conclusions. En d’autres termes, en cas d’échec de la négociation, il faut poursuivre notre pression sur le monde patronal, lequel exerce aussi son lobby et est derrière les idées imbuvables sur le dossier employé-ouvrier ».
On pourrait s’attendre à ce que « communiquer, sensibiliser et mobiliser » conduise à « passer à l’action » mais non ! La conclusion serait plutôt comme les patrons, « d’exercer un lobby ». Sur qui ?
Du côté des directions syndicales ont n’a pas trop envie, à un an des élections, de fragiliser un peu plus « les relais ». Les « relais » fonctionnent très bien mais dans l’autre sens : le PS met la pression pour éviter de devoir prendre lui-même des mesures impopulaires. Il a besoin d’un paravent. Il fait appel « au sens des responsabilités » des syndicats et prépare déjà son explication habituelle : « on se bat comme de beaux diables mais on n’est pas seuls au gouvernement, nous serions obligés d’accepter un compromis avec la droite du gouvernement ». Bref ce qui est demandé aux syndicats c’est de définir eux-mêmes les reculs qu’ils sont prêts à accepter !
C’est donc un vrai parcours d’équilibriste auquel se  livrent les directions syndicales et le gouvernement.

Renouer avec le combat
Il est clair que la stratégie actuelle des directions syndicales conduit les travailleurs à une nouvelle impasse.
Même si les vacances approchent il faut tout faire pour bloquer le détricotage des droits sociaux. Dans le dossier du statut ouvrier-employé, il faut refuser de se laisser entraîner dans des replis corporatistes et des querelles stériles entre centrales et entre syndicats. Il faut remettre la solidarité à l’ordre du jour. Contrairement à ce que peuvent laisser penser certains, un compromis sur ce dossier ne freinera pas de nouvelles exigences patronales, en particulier dans l’autre dossier brûlant : le blocage (en fait la diminution) des salaires.

Farid Khalmat - 21 juin 2013

07/06/2013

2ème lettre ouverte aux syndicalistes




Pour une résistance sociale sans concessions à l'austérité 
Pour une alternative politique au social-libéralisme

Camarades,
Le monde du travail est soumis à rude épreuve et c'est de mal en pis. La crise s'ins­talle durablem­ent en Eu­rope et pèse sur les rapports de forces entre le patronat et le monde du travail.Thatcher a passé l'arme à gauche et les théories néolibérales perdent du terrain. Mais elles pren­nent de plus en plus la forme d'un dogme au service des 1% les plus riches de la société. Le capitalisme néo­libéral est toujours debout, car les travailleurs sont contraints de lutter entreprise par en­treprise, secteur par secteur, pays par pays. Cela crée un sentiment d'impuis­san­ce. Alors que nous aurions besoin d'un contre-projet social pour convaincre de larges couches de la population : une société avec une égalité sociale et des droits démocratiques pour tous et pour toutes, avec la sau­vegarde de la nature.

Le « moindre mal »  ne fait pas notre affaire
La gauche social-libérale (le PS et le sp.a) quand ils ne reprennent pas entièrement la propagande média­tique des « experts » sur « la crise, la dette, la compétitivité et le vieillissement », nous resservent la même ren­gaine: « C'est la faute à l'Union européenne, à la N-VA, aux libéraux ! ». Pour ajouter: « Sans nous, ce se­rait pire ! ».
Vraiment ? En Grèce, en Espagne et au Portugal ce sont les partis-frères du PS et du sp.a qui ont amorcé le tournant vers le tsunami de l'austérité. Ils ont tout simplement fait le boulot de la droite. En France, le PS est seul au pouvoir. Mis à part le droit au mariage pour tous, rien ne distingue la politique du PS français de celle de Sarkozy : guerre au Mali, CRS contre grévistes chez PSA, police dans les banlieues. Au niveau européen, rien ne différencie la politique du PS de celle de la droite. Tous votent de la même manière les mêmes traités d'austérité. Rappelons-nous la fin des années 1990, quand les partis socialistes étaient majoritaires dans 13 gouvernements sur 15 en Europe : ça n'a en rien freiné la frénésie libérale de l'Union européenne créée par et pour la bourgeoisie. Paul Magnette et Bruno Tobback ne trompent quasiment personne avec leur énième ra­valement de façade du PS et du sp.a. Qu'ils arrêtent de nous ressortir ces vieux tours de passe-passe !  Cela ne prend plus !
En Europe, les patrons ont décidé de profiter de la crise ca­pitaliste pour nous ramener loin en arrière sur le plan social : privatisations des services publics, dérégulation des lois sociales, blocage des salaires,  attaques sur les soins de santé, sur les pensions, sur les allocations de chômage, etc. Une stratégie qui a d'abord été testée  sur la population de l'Europe du Sud et de l'Est, destinée à devenir pour le Nord de l'Europe (sur­tout pour l'Allemagne) ce qu'est le Mexique pour les USA. Une fois que la population de l'Europe du Sud et de l'Est de l'Europe sera entièrement plongée dans la misère, celle des autres pays (comme la Belgique) sera vouée à subir le même sort, probablement avec un rythme un peu plus lent.
Résistance sociale
Il faut résister à ce rouleau compresseur qui broie les conquêtes sociales arrachées par nos anciens Le monde du travail et le mouvement syndical sont dans le collimateur. Dans le camp d'en face, on ne « chôme » pas. pour préparer des nouvelles contre-réformes. Chez nous, le gouvernement Di Rupo et les gouvernements ré­gionaux (auxquels participent les verts à Bruxelles et en Wallonie) multiplient les mauvais coups: 23 mil­liards de coupes budgé­taires, baisse des salaires réels de 0,4 % et gel des salaires pour au moins 6 ans, 5.000 pertes d’emplois dans la fonction publique, coupes sombres à la Poste et à la SNCB, démantèle­ment des pré­pensions et abaissement du montant réel des pen­sions, limitation dans le temps des allocations de chômage par leur abaissement radical sous le seuil de pauvreté, gel des dépenses de soins de santé, hausse des tarifs dans les transports publics et suppression de lignes, restrictions budgétaires dans les com­munes et les CPAS... On ne compte plus les fermetures dans l'industrie (ArcelorMittal, Ford-Genk, Duferco) et les pertes massives d'emplois (Caterpillar). Dans le secteur tertiaire, les employés des banques et du commerce ne sont pas épargnés.  Et ce n'est qu'un début, si on ne les arrête pas.
D'autre part, des partis comme l'Open VLD et la N-VA se déchaînent dans la presse et à la télé pour re­mettre en question le paiement des allocations de chômage par les syndicats, Si une telle menace était mise en appli­cation elle affaiblirait considérable­ment les syndicats qui perdraient sans doute des dizaines de mil­liers d'affi­liés qui seront victimes de la réforme des nouvelles règles d'indemnisation des chômeurs contre lesquelles les syndicats, dans leur ensemble, ne se sont pas suffisamment battus. Mais il y a aussi eu les at­taques du sp.a contre le droit de  grève dans les transports publics, celles de la N-VA contre le mouvement ouvrier chrétien flamand (ACW) et les insultes de Di Rupo contre des syndi­calistes CGSP : "Vous conduisez les citoyens vers l'abîme".
Partout en Europe, les conventions collectives de secteur et les contrats à durée indéterminée sont remises en cause: en Grèce, en Italie, mais aussi en France, en Belgique avec l'acceptation par les syndicats d''avoir recours au travail intérimaire pour rempla­cer la période d'essai légale d'un contrat de travail, Les budgets des États membres de l'Union européenne sont maintenant soumis à la Commission avant d’être discutés par les parlements nationaux.
La classe dominante voudrait que les syndicats se réduisent à des organismes de services individuels aux af­filiés et se limitent à organiser de temps en temps une journée d'action sans lendemain pour fatiguer les mi­litants les plus combatifs, faire baisser la tension sociale et finir par négocier un mauvais compromis qui ava­lise de nouveaux reculs sociaux.  La norme salariale imposée par le gouvernement risque d'être assortie de sanctions contre les employeurs qui signeraient des conventions de secteur et d'entreprise plus favorables aux travailleurs. Pourquoi le gouvernement et les patrons se gêneraient-ils quand ils ont en face d'eux des direc­tions syndicales effrayées par la perspective d'engager une lutte acharnée ?
Pour un syndicalisme combatif et démocratique
Toutes ces attaques patronales ne seraient pas possible si les organisations syndicales avaient un vrai plan de bataille. L'incurie bureaucratique de certaines directions syndicales, voire la complicité de certains diri­geants (FGTB ou CSC) qui démobilisent les militants par des promenades syndicales entre la gare du Nord et celle du Midi sans revendications concrètes, sans plan de bataille et sans lendemain conduit à la démobili­sation, à la résignation et à la défaite. Les directions syndicales viennent d'accepter la hausse des heures sup­plémentaires et de nouvelles baisses de cotisations patronales à la sécurité sociale pour un montant de 270 millions. Alors que les dividendes des entreprises du BEL20 sont en hausse de 10% en 2012 et atteignent près de 7 milliards!
Pour Anne Demelenne et Rudy De Leeuw (FGTB-ABVV), pour Claude Rolin et Marc Leemans (CSC-ACV), le rôle des syndicats dans la période actuelle consiste à accompagner les contre-réformes néolibérales, de sauver quelques miettes et de présenter ces reculs, inconcevables encore il y a 10 ans, comme des vic­toires ! Et avec en primes les félicitations adressées au PS ! Pis encore, le président de l'aile flamande des mé­tallos FGTB (ABVV-Metaal) assume pu­bliquement qu'il ne sert à rien de mobiliser parce qu'il ne veut pas faire tomber le gouvernement et il prône le sabotage des actions décidées par l'ensemble de la FGTB ! Au sein de la FGTB il est de plus en plus question de divisions :entre centrales (entre les centrales ouvrières et le SETCa, entre centrales du privé et la CGSP) et de discours à relents communautaires. Alors que la solidarité interprofessionnelle, entre travailleurs flamands, bruxellois et wallons est plus indispensable que jamais !
Hélas ce n'est pas tout : le « plan d'action » de la FGTB avec des actions locales et des manifestations sans perspectives est encore bien trop faible ne serait-ce que pour bloquer les mesures d'austérité et risque ainsi de provoquer la démoralisation. Et du côté de la CSC c'est encore pis dans l'ensemble.
Les beaux discours dans la presse syn­dicale n'y changeront rien. La bourgeoisie utilise le PS, le sp.a et dans leur sillage les directions syndicales comme amortisseurs de la souffrance et de la colère des travailleurs. C'est un beau jeu de dupes. Faire semblant de lutter pour ne pas mettre en danger le gouvernement, ça suffit ! Cette politique favorise le sauve-qui peut, le replis égoïste sur soi qui menace le syndicalisme d'une débâcle funeste. Nous avons un besoin urgent d'un vrai plan d'action dé­battu et élaboré de la base au sommet. Sans quoi , la lutte des classes, au vu de la violence des 1%  qui nous dominent ressemblera à  une corrida, avec le capital dans le rôle du matador.
Une alternative politique pour le monde du travail
Pour vaincre il est essentiel de se dresser sur deux jambes: la lutte sociale et l'alternative politique. En Grèce, une ving­taine de journées de grèves interprofessionnelles, des manifestations massives de rue, des occupations d'entreprises n'ont pas suffi, notamment parce qu'il n'y a pas eu d'articulation entre le mouve­ment social et une alternative politique anticapitaliste. Le défit est de regrouper, autour d'une alterna­tive politique de classe contre le capitalisme, les forces de toutes celles et ceux qui luttent au quotidien contre ce système. Forger un outil politique augmentant la force de frappe des re­vendications sociales, et amenant aux luttes une perspective politique permettant de reprendre confiance. Alors que le paysage politique est du­rablement déstabilisé par l'austérité dans de nombreux pays d'Europe, aucune force politique en Belgique, pas même le PTB, ne peut actuellement répondre à de telles exigences.
En Flandre des voix s'élèvent dans le Mouvement Ouvrier Chrétien (ACW) pour rompre avec le CD&V mouillé jusqu'au cou dans la crise bancaire et l'austérité néolibérale, Du côté francophone, l'appel du 1er Mai 2012 de la FGTB de Charle­roi pour une nouvelle force politique anticapitaliste à gauche du PS et d’Écolo, a projeté la question sur la place publique et on en discute dans des assem­blées de travailleurs et de délégués. A la Centrale Nationale des Employés (CSC) aussi on en discute . Un comité de soutien unitaire de la gauche, avec notamment le PTB, la LCR, le PC, le PSL, le Mouvement de Gauche et d'autre a vu le jour dé­but 2013. Le projet est de soutenir l'émer­gence d'une telle force tout en préser­vant l'indépendance syndicale. Un meeting historique convoqué en front commun FGTB-CNE s'est tenu à Charleroi le 27 avril, avec le sou­tien de toutes les organisations de gauche.
Un débat démocratique sur la stratégie syndicale
Dans la mesure où les dirigeants syndicaux actuels nous conduisent à l'impasse, il faut un large débat dé­mocratique au sein de la FGTB et de la CSC Un débat qui débouche sur des congrès extraordinaires d'orien­tation permettant d'organiser valablement la résistance sociale.
Il est impératif que les organisations syndicales changent de cours de toute urgence afin de défendre les in­térêts de tous les travailleurs. Sans résistance sociale acharnée, une alternative politique de gauche n'a aucune chance. Sans alternative politique de gauche, les syndicats resteront prisonniers de la politique du « moindre mal» et du PS. La victime des contre-réformes sociales sera incontestablement toute la population labo­rieuse : hommes et femmes avec ou sans emploi, jeunes, chômeurs, pensionnés, malades , etc.
Les travailleurs en lutte pour leur emploi, les militants syndicaux combatifs et les mouvements sociaux mi­litants en dehors des syndicats, ont tout intérêt à se coordonner et à mettre sur pied une stratégie pour gagner, sans attendre les directives "d'en haut" qui ne viendront sans doute pas. Dans nos centrales syndicales  défen­dons une orientation interprofessionnelle de combat. La bataille sur le terrain social et politique est étroite­ment liée, le renforcement de la résistance sociale est un élément important pour la création d'un bloc de mouvements sociaux et politiques de gauche capable de faire capoter les mesures d'austérité,
Il n'existe pour le moment en Belgique pas de formule de coalition gouvernementale en mesure de dé­fendre les intérêts de la population laborieuse  et capable d'organiser la résistance. Si nous ne mettons pas, par la lutte, les questions sociales à l'ordre du jour, si nous sommes vaincus sans résistance, si nous ne réus­sissons pas à court terme de construire une alternative politique et sociale, on est foutu. Et cela  ouvrira la voie à la N-VA et au MR pour un nouveau train de mesures anti-sociales encore plus dures que ce que nous subissons aujourd'hui. Il en va du maintien d'une série de réalisations historiques du mouvement ouvrier dans ce pays: la sécurité sociale, l'index, la place des syndicats, les conventions collectives. Tout cela risque d'être remis en cause par les ultras du patronat dont la N-VA ne représente que la partie visible de l'iceberg. Prenons notre avenir en mains ! Dressons-nous et luttons debout sur nos deux jambes : la résistance sociale et une al­ternative  politique anticapitaliste. Oser lutter, oser pour gagner!


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