30/04/2012

Entretien avec Daniel Richard, Secrétaire interprofessionnel de la FGTB de Verviers

Ce gouvernement, avec à sa tête un premier ministre socialiste, a lancé un vaste plan d’austérité et de régression sociale, avec, pour 2012, une facture de quelque 14 milliards d’euros, à payer, pour l’essentiel, par les travailleur/euse/s et les allocataires sociaux.
Qu’est-ce qui te scandalise plus dans ce premier train de mesures.

Daniel Richard : En tant que responsable syndical interprofessionnel, ce qui me révolte le plus, ce sont les mesures prises concernant le chômage. Ce sont des mesures qui visent à créer la division entre travailleurs avec ou sans emploi et qui frappent, d’une manière ou d’une autre, tous les chômeurs et chômeuses.
Ce qui est particulièrement odieux, c’est, d’une part, la dégressivité renforcée des allocations de chômage jusqu’à des montants minimum forfaitaires pour une majorité de chômeurs, et, d’autre part, la limitation à trois ans des allocations d’attente, rebaptisée allocations d’insertion, pour les jeunes sans emploi ou des travailleurs n’ayant pas suffisamment de jours de travail pour avoir droit  au chômage complet. Cette catégorie de personnes  devra frapper à la porte des CPAS des communes, qui sont déjà financièrement étranglées et ne pourront pas compter sur le pouvoir de tutelle régional qui, lui aussi, est désargenté.
On va donc assister à une paupérisation progressive et généralisée de la population déjà la plus fragilisée. Et, après ça, on va s’étonner du développement du travail au noir ! Et puis, et cela plaide pour la solidarité dans l’action entre travailleurs avec et sans emploi, cette précarisation renforcée et généralisée du marché du travail va tirer vers le bas les conditions de travail et de rémunération de tous les travailleurs.
Je note également que ces différentes mesures vont nous tomber dessus, et comme par hasard, soit après les élections communales de cette année, soit après les élections législatives de 2014 !

Pour les trois prochaines années, c’est déjà décidé, il faudra trouver encore 14 milliards d’euros pour réduire le déficit public. A quoi peut-on, doit-on encore s’attendre ?
Daniel Richard : A tout ! N’oublions pas que le plan d’austérité se situe dans le cadre européen, en liaison directe avec les décisions prises au sein du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernements, avec, encore dernièrement, le fameux pacte Euro Plus le « Six Pack »), signé en mars 2012. Di Rupo, notre premier ministre l’a également signé. Il n’y a pas que les mesures prises pour l’équilibre budgétaire, mais aussi pour réduire la dette publique des Etats. En Belgique, la décision prise pour réduire la dette publique, en la faisant passer, dans un premier temps, de 100% à 80% du PIB entrainera une ponction du budget de l’Etat de quelque 5 milliards d’euros. Dès lors, aux 14 milliards d’euros, on peut y ajouter ces 5 milliards.
Je me rappelle d’une déclaration faire par Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen : « La crise est une opportunité pour réussir des politiques qu’on n’aurait pu faire passer par la négociation ». En fait, c’est tout le « modèle social », construit au lendemain de la seconde guerre mondiale, qui est en train d’être liquidé.
Je suis en total accord avec la phrase qui introduit la » Lettre ouverte de la LCR aux syndicalistes » : « Nous ne sommes qu’au début d’une régression sociale qui vise à liquider ce qui reste de nos acquis sociaux, déjà terriblement mis à mal depuis trente ans ».
Ceux qui disent  que cette crise n’est qu’un mauvais moment à passer, faisons le gros dos, se trompent. Nous sommes dans une crise profonde, structurelle. Et l’objectif des forces en face, c’est la destruction du modèle social, construit au lendemain de la seconde guerre mondiale : la sécurité sociale, les services publics, l’emploi à durée indéterminée, etc. Leur objectif c’est également, ça va de pair, l’affaiblissement, voire la destruction de la force syndicale, qui est le premier frein à leur offensive, avec le regroupement des organisations de la gauche de gauche.
Si on ne procède pas à une redistribution radicale des richesses, du Capital vers le Travail et une réforme en profondeur de la fiscalité pour faire payer les gens au prorata de leurs revenus et patrimoines, alors, on peut s’attendre à des catastrophes sociales bien plus grandes encore.

Les syndicats se sont mobilisés contre le plan d’austérité, à travers des rassemblements, des manifestations, des grèves, en particulier la grève nationale interprofessionnelle du 30 janvier dernier.
Mais, cela n’a pas pour autant fait reculer le gouvernement, ni le parlement.
Quelles leçons en tires-tu pour le mouvement syndical qui, qu’on le veuille ou non, reste la force essentielle pour faire changer les choses ?      
Daniel Richard : D’abord, ces grèves n’ont pas été inutiles. Mais, nous sommes amenés à avoir un vrai débat sur la stratégie syndicale qui ne peut être postposé vu l’ampleur de l’offensive contre nos acquis.
Je pense d’abord qu’au sein de mouvement syndical, de mon organisation également, on ne fait  pas tous la même analyse de la crise de 2008. On n’est pas tous sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’analyse du rapport conflictuel central : Capital-Travail.
On risque aussi d’être seuls  au niveau wallon dans la confrontation avec les mesures prises au niveau fédéral, vu, par exemple, les réalités économiques différentes avec la Flandre, région plus riche.
Et puis, un des critères pour mener une politique progressiste, de gauche, c’est le refus de s’inscrire dans le cadre, défini et imposé, au niveau européen, pas seulement par les forces réactionnaires. J’ai déjà dit que notre premier ministre s’inscrivait dans ce cadre.

Pour le mouvement syndical, une des questions n’est-elle pas : comment inverser la tendance, comment changer les rapports de force capital-travail ?
Dans la « Lettre ouverte aux syndicalistes », nous considérons que le mouvement syndical doit passer de la défense à l’offensive, lutter pour imposer son propre programme, un programme d’urgence sociale, un programme anticapitaliste.
Quelles revendications t’apparaissent-elles urgentes et indispensables dans la lutte pour changer les rapports de force ?
Daniel Richard : les mesures prioritaires, mais qui sont difficiles à populariser, cela doit être les mesures fiscales, avec la progressivité de l’impôt, à travers la restauration des tranches d’imposition et la globalisation des revenus dans le calcul de l’impôt sur les personnes physiques, qui permet de faire contribuer d’autres revenus que ceux du Travail et d’établir une véritable justice fiscale. Ce sont des mesures faciles à prendre sur le plan technique. Cela implique la levée totale du secret bancaire. Cela implique aussi qu’on aborde le statut de la Belgique comme paradis fiscal, de manière claire.
Mais il y a aussi d’autres éléments. Va-t-on continuer cette gabegie des intérêts notionnels qui représentent annuellement un manque à gagner pour l’Etat de quelque 5 milliards d’euros bruts (3 milliards nets). Il y a aussi un autre combat à mener à propos de la dette publique, par exemple sur un audit de cette dette – à quoi a servi cette dette- pour déboucher logiquement sur une annulation de la dette illégitime et odieuse Est-ce qu’il n’y pas des parties de cette dette qu’on peut qualifier d’illégitime ? Le renflouement des banques, payé par un appauvrissement de la population, ça va directement à l’encontre des garanties données par la Constitution aux droits sociaux.
Il y a aussi le cadre européen à dénoncer. L’urgence est là aussi. Est-ce qu’on accepte que le gouvernement fasse passer, dans la Constitution, la « règle d’or », avec l’aval du parlement, sans débat populaire ?
On parle de relance économique. Mais quel type de développement voulons-nous, en voyant que la crise n’est pas seulement sur le plan économique. Il y a d’autres enjeux liés à cette crise économique : la crise alimentaire mondiale, la crise énergétique, le réchauffement climatique…
Le mouvement syndical doit s’emparer de toutes ces questions, les traduire en termes de revendications et de mobilisation.

Pour changer les rapports de force, il y a également la question des moyens d’action à la hauteur des défis et de l’ampleur de l’offensive d’un patronat, épaulé par le pouvoir politique. La perception, chez les travailleur/euse/s,  de manifestation et mobilisations sans lendemain est bien réelle.
Daniel Richard : Il suffit de voir ce qui nous attend dans les prochain mois et années pour se rendre compte de la nécessité d’élaborer, au niveau syndical, un plan d’action interprofessionnel, au niveau national et en front commun.
Il y a maintenant un calendrier  établi par les institutions européennes, semestre par semestre, avec des recommandations et injonctions sur l’index, sur les retraites, sur le déficit budgétaire, l’endettement, etc.
Il y a le calendrier en Belgique. En juin, les négociations sur le plan de relance, la compétitivité. En septembre, la liaison des allocations sociales au bien-être, avec la question de l’affectation ou non de 600 milliards d’euros à cette liaison. En automne, le démarrage de la discussion sur le nouvel accord interprofessionnel pour 2013-14. Et, pour moi, un relèvement important du salaire minimum interprofessionnel garanti doit en être un élément important. Et puis, le débat budgétaire va revenir tous les 6 mois. Et on sait bien que les 14 milliards d’euros pour éponger le déficit budgétaire en 2012, ce n’est qu’un début et que cela va se traduire par d’autres plans d’austérité et de régression sociale.
A ce propos, posons-nous la question à propos de l’offensive actuelle sur l’indexation des salaires. N’est-ce pas, en partie, une manœuvre habile, une manière d’agiter l’épouvantail pour faire avaler plus facilement de nouvelles mesures de régression sociale ?
Ma régionale syndicale demande, depuis 3 ans, un vrai débat dans nos instances, sur un plan de mobilisation, avec des objectifs et échéances précises.
Avec l’ampleur des attaques et des mesures de régression sociale qu’on vient de subir et ce qui nous attend pour la suite, ce débat n’en est que plus urgent.

Dans la Lettre ouverte, adressée par la LCR aux syndicalistes, nous soulevons également un autre rôle qu’il appartient, selon nous, au mouvement syndical de jouer : « le syndicat peut et doit favoriser la formation d’une alternative politique…qui soit aussi fidèle au monde du travail que les partis actuels  sont fidèles au capital ».
La critique du PS par des syndicalistes est montée d’un cran, après les mesures antisociales, prises par ce gouvernement, mené par un premier ministre socialiste. Le PS peut-il encore être le relais politique des aspirations et revendications du monde du travail ?

Action CGSP Verviers décembre 201
Daniel Richard : D’abord, c’est le rôle du syndicat, et même sa raison d’être, non seulement de défendre les travailleurs sur le terrain des entreprises, mais aussi d’imposer une autre politique.
Quand on voit le comportement politique des partis sociaux-démocrates et des gouvernements dirigés par ces partis,  en Grèce, en Espagne, au Portugal et également en Belgique, on n’est pas étonné de rencontrer des syndicalistes, membres du PS, qui se désaffilient de ce parti. Et si celui-ci continue à  porter et assumer ce type de politique, alors il faudra s’attendre à d’autres défections.
Si le PS peut-il être encore un relais politique pour le monde du travail ? Cela dépend de quoi on parle. Sur l’index, il est actuellement le relais de la revendication syndicale. Sur les mesures concernant les chômeurs, là, comme je l’ai dit, il s’est inscrit, avec le gouvernement Di Rupo, dans une attaque d’envergure des chômeurs. On peut continuer : Di Rupo et le PS assument le pacte « Euro Plus », avec ses directives de régression sociale pour les gouvernements de l’UE.
Ceci dit, je pense qu’il est nécessaire d’avoir, à la gauche du PS et d’Ecolo, une force politique plus importante, mieux structurée, plus crédible et unitaire que ce qui existe à l’heure actuelle. Et j’encourage un front de gauche, partageant et portant, sur le terrain politique, le programme de revendication de la FGTB wallonne par exemple.
Je peux comprendre que des secteurs du mouvement syndical, comme vient de le faire Daniel Piron, secrétaire régional de la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut, appellent, dès aujourd’hui, à la création d’un nouveau parti qui puisse porter les revendications et besoins du monde du travail. Mais je me pose la question de l’impact électoral que pourrait avoir, aujourd’hui, une telle formation, comme d’ailleurs le parti que vient de créer Bernard Wesphael,  dans le contexte francophone en particulier, où le PS et Ecolo sont des formations politiques, avec des scores électoraux encore impressionnants, malgré les politiques qu’elles mènent.
Cela m’amène à avoir des doutes, non pas sur la nécessité  et l’utilité d’une gauche de gauche. C’est un ferment nécessaire pour nourrir et crédibiliser une alternative, y compris pour faire pression sur le PS.  Mais, sur l’impact électoral qu’elle peut avoir à l’heure actuelle, là je suis sceptique. L’expérience électorale de Gauches Unies, dans les années 1990, a certainement été pour beaucoup dans la disparition de GU.

Comment vois-tu la place et le rôle des formations de la gauche radicale (PTB, LCR, PSL, PC…) dans cette perspective de construction de l’alternative politique ?     
Daniel Richard : Comme syndicaliste, je l’ai dit, je souhaite que se construise, à la gauche du PS et Ecolo, une force politique plus importante, avec des organisations qui, tout en respectant l’identité de chacune, sache s’unifier sur des objectifs  communs. Et qu’elle puisse attirer, dans l’action,  sur les enjeux actuels, dans l’affrontement Capital-travail, des membres d’autres partis et des mouvements sociaux. Qu’elle puisse ainsi également secouer le PS.
Je constate que le PTB a l’ambition de se poser en axe central de ce rassemblement. C’est une démarche problématique qui peut empêcher  la constitution d’une force unitaire. J’ai lu les récentes déclarations de son porte-parole, avec une tonalité nouvelle, mettant l’accent sur la nécessité d’une convergence des gauches politiques. Cette ouverture ne m’apparait pas toujours traduite dans les faits par l’organisation qu’il représente. Rassembler implique généralement des renoncements…

Propos recueillis par Denis Horman, avril 2012 

Pour une alternative anticapitaliste! Pour un nouveau parti du monde du travail!

Pour la première fois depuis très longtemps, la Belgique a un Premier ministre socialiste. Mais alors qu’on n’a jamais vu de Premier ministre libéral mener une politique socialiste, depuis quelques années on voit partout en Europe, et aujourd’hui en Belgique, des Premiers ministres socialistes mener une politique libérale.
Le 23 décembre 2011, après une grève générale des services publics, le gouvernement Di Rupo vote la réforme des fins de carrière. C’est un recul social fondamental inspiré des directives de la Commission européenne.
Malgré la grève interprofessionnelle en front commun du 30 janvier, le gouvernement Di Rupo persiste dans ses attaques néolibérales. Les chômeurs – en particulier les jeunes et les femmes – sont plus que jamais dans le collimateur.
Ce n’est qu’un début…
Nous ne sommes qu’au début d’une offensive capitaliste qui vise à casser ce qui reste de nos acquis sociaux. Pour cela, comme les autres gouvernements en Europe, le gouvernement Di Rupo...

Lisez la suite en téléchargeant le tract de la LCR (format PDF)

29/04/2012

Entretien avec Egidio Di Panfilo, Secrétaire général du SETCa Liège


Dans l’interview qu’il a donnée récemment à un quotidien francophone, Elio Di Rupo déclarait : « Il faut de la rigueur, mais on ne doit pas casser notre modèle social ».
Que penses-tu de cette déclaration ?

Egidio Di Panfilo : je constate que, dans toute une série de pays européens, les gouvernements mettent en place des plans d’austérité qui provoquent un appauvrissement de couches de plus en plus grandes des populations, avec de terribles souffrances. La Grèce en est un des exemples les plus dramatiques. Partout, les mesures prises visent à attaquer durement ce qui reste de nos conquêtes sociales. Et la Belgique ne fait pas exception. Le gouvernement, avec un premier ministre issu d’un parti dit socialiste, vient d’imposer une première vague de mesures d’austérité et de régression sociale d’une ampleur qu’on n’avait pas connue jusqu’à présent. Et les économies chiffrées à prendre, d’ici 2015,  pour résorber le déficit budgétaire nous indiquent bien que les attaques sur ce qu’était notre « modèle social » vont continuer.
Nous sommes à un moment charnière de l’histoire sociale de l’Europe et de notre pays.

On a connu récemment des mobilisations syndicales importantes contre ce premier train de mesures d’austérité : la grève de 24 heures dans les services publics en décembre 2011 et surtout la grève nationale, interprofessionnelle, en front commun syndical du 30 janvier 2012. Mais, sur l’essentiel de mesures prises, ces mobilisations n’ont pas fait reculer le gouvernement. Quelles leçons en tires-tu au niveau syndical ? Les plans et les moyens de mobilisation sont-ils à la hauteur des défis rencontrés ?   

Egidio Di Panfilo : nous avons un problème de mobilisation. Ce n’est pas seulement la couche des cadres syndicaux, des délégués qui doit être mobilisée, mais l’ensemble des travailleur/euse/s. Il nous fait mobiliser le plus largement possible. Je pense, entre autre, à ces centaines de milliers de chômeur/euse/s qui subissent le plus la régression sociale et qui ne sont pas mobilisés.
Il nous faut  mener un travail d’information en profondeur, ouvrir les yeux sur ce qui nous attend, comme en Allemagne, par exemple. Il y en encore qui ose parler de « modèle allemand ».
Il nous faut, comme mouvement syndical, créer et renforcer les liens entre travailleurs et allocataires sociaux, avec les autres mouvements sociaux.
Dans ce pays, travailleurs et travailleuses syndiqué/e/s, du privé et des services publics, affilié/e/s aux trois syndicats, FGTB, CSC, Libéraux, nous représentons une force de quelque 3,5 millions de personnes. Une force qui devrait être en mesure de faire barrage au rouleau compresseur sur nos conquêtes sociales. Effectivement, face aux terribles défis qui sont devant nous, nous devons tirer les leçons sur nos plans et moyens d’action.

Dans la « Lettre ouverte aux syndicalistes », nous faisons le constat, et nous ne sommes pas seuls à le dire, que le mouvement syndical est à la croisée des chemins. Va-t-il passer de la défensive à l’offensive ? Va-t-il avoir la capacité et la volonté de mobiliser sur un programme clair, un programme anticapitaliste, d’urgence sociale ?     

Egidio Di Panfilo : D’abord, il faut le rappeler, le mouvement syndical tient un rôle central pour combattre l’austérité. Il doit être un contre-pouvoir.
Dans les mobilisations récentes, notre position de départ a été de dire clairement stop à ces mesures de régression sociale, car ce n’est pas aux travailleur/euse/s, aux allocataires sociaux de faire les frais de la crise. C’est aux capitalistes de payer leurs crises.
Nous avons un programme d’urgence sociale. Avant tout, il faut préserver le pouvoir d’achat des travailleurs et allocataire sociaux. Il y a la question salariale. Pourquoi devrions-nous céder à tout ce matraquage sur la compétitivité, quand beaucoup de grosses entreprises redistribuent à leurs actionnaires des dividendes extraordinaires ?
Bien sûr, il y a aussi l’urgence d’une autre fiscalité, une justice fiscale, qui est quand même la meilleure manière de redistribuer les richesses produites par les travailleurs.
Sans oublier ces fameux intérêts notionnels et tous ces cadeaux aux entreprises, surtout aux multinationales qui ne paient quasiment pas d’impôts, sans pour autant investir dans la production, préserver et créer de l’emploi.
Il nous faut effectivement avancer des objectifs clairs et qui, inévitablement, attaquent de front les intérêts des capitalistes et des groupes financiers. Je pense à la revendication avancée par le SETCA Liège, mais aussi la FGTB Liégeoise concernant la fermeture de la phase à chaud de ArcelorMittal Liège,  décrétée par son PDG, Lakshmi Mittal, 6ème fortune mondiale. Cette revendication, c’est la nationalisation, régionalisation ou mise sous statut public d’ArcelorMittal Liège, en dégageant Mittal et en se réappropriant les outils. Bien sûr, ça ne nous tombera pas tout cuit. Là aussi, ça implique  un véritable plan de mobilisation.
Projet irréaliste ? Nous avons organisé une visite, dans le Land allemand de la Saar, où se trouve une entreprise sidérurgique, ex-propriété de Mittal, qui a été reprise par le gouvernement du Land, en partenariat avec les travailleurs et qui fonctionne très bien.

Au-delà et en liaison avec les problèmes de stratégie syndicale, va se poser, selon nous, de plus en plus le problème de l’alternative politique.
Dans notre Lettre ouverte aux syndicalistes, nous écrivons : « le syndicat ne peut évidemment pas se transformer en parti. Par contre, il peut et doit favoriser la formation d’une alternative politique. Il peut et doit exiger de celles et ceux qui se réclament du monde du travail sur le terrain politique qu’ils s’unissent pour porter ensemble un programme de gauche. Il peut et doit exiger que cette alternative soit aussi fidèle au monde du travail que les partis actuels sont fidèles au capital ». Et, dans ces partis actuels, nous pointons également le Parti socialiste.
Comment vois-tu ce problème du relais politique du monde du travail et le rôle du syndicat dans cette démarche ?

Egidio Di Panfilo : je ne suis pas demandeur pour que le syndicat pousse à la formation d’un nouveau parti politique. D’abord parce que je ne vois pas actuellement un leader, comme par exemple Jean-Luc Mélanchon en France, capable d’unir derrière lui des forces syndicales. Et puis, nous ne pouvons pas nous couper totalement des relais qu’a la FGTB, en région francophone, avec le PS, même si les lignes directrices du PS ne nous conviennent pas du tout. Nous avions d’ailleurs écrit, il y a un peu plus d’un an au PS, en plaidant pour qu’il ne rentre pas dans un nouveau gouvernement qui serait de droite.
Il y a encore des gens à gauche dans le PS et nous espérons encore que des élus, des parlementaires de ce parti relaient et défendent les revendications syndicales.
Mais le jour où le PS devrait céder sur l’indexation des salaires, alors, pour moi,  cela devra entrainer la rupture entre la FGTB et le PS.   

Et la gauche radicale, la gauche de gauche, comment la perçois-tu, le PTB, la LCR, PSL, le PC… ?

Egidio Di Panfilo : Même si elle est encore relativement petite, elle joue un rôle important dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une alternative politique, à la gauche du PS et Ecolo. Encore faut-il que les éléments d’alternatives, avancés par les uns et les autres, soient suffisamment crédibles et compréhensibles par des couches plus larges de la population. Et aussi  que cette gauche sache dépasser ses divisions et les problèmes de personnalités.
Je m’en voudrais de ne pas mentionner une chose qui m’inquiète profondément, c’est le score de Marine Le Pen en France et de constater son impact chez les travailleurs, confirmé par un sondage IFOP, et surtout chez les exclus de la société.
Alors, j’en suis bien conscient,  cela doit nous pousser, comme syndicalistes, à être une véritable force pour le changement, pour répondre aux aspirations, aux revendications, aux  besoins concrets des gens.

Propos recueillis par Denis Horman, avril 2012.   

26/04/2012

« Il faut un plan de riposte face aux offensives du gouvernement Di Rupo »


  • La Belgique n'échappe pas aux mesures d'austérité imposées partout en Europe. Face à ces attaques, resurgissent les questions de la contre-offensive sociale mais surtout de l'unité à gauche. C'est à sujet que nous avons rencontré Nico Cué, secrétaire général des Métallos Wallonie-Bruxelles (FGTB).
Propos recueillis par Sébastien Brulez

Après la grève de fin janvier et les négociations qui l'ont suivie, certains estiment qu'on a fait que modifier quelques virgules mais qu'on ne peut pas vraiment parler de victoire.  

D'abord il y a cette expression: « On a évité le pire ». Mais le pire est toujours présent puisqu'il y aura encore un contrôle budgétaire en juin, et que la situation économique n'arrête pas de se dégrader. Ensuite il y a le budget 2013, n'oublions pas qu'il y a un engagement avec l'Europe et qu'ils devront encore aller chercher 10 à 12 milliards d'euros.
Le danger c'est que les politiques d'austérité s'installent dans nos esprits et qu'au bout d'un an ou deux on considère qu'elles sont normales. Il faut continuer à contester radicalement et rappeler que les mesures qui sont prises aujourd'hui, même si on les a améliorées, sont indécentes.
Il faut que l'organisation syndicale ait un plan de riposte qui s'inscrive dans la durée et qui permette de réagir à la hauteur des offensives du gouvernement Di Rupo.
Qu'est-ce qui pourrait déclencher un tel mouvement?
Il y a plein d'éléments qui sont encore dans les cartons du gouvernement et qui risquent de déclencher une forte mobilisation. Il faut donc rester vigilants. Dès qu'on sent qu'il y a une mesure ou l'autre, il faut sortir le plan d'action avec l'ensemble de la FGTB (et en front commun si possible) pour résister.

Quelle est votre position aujourd'hui par rapport au Parti socialiste, le considérez-vous encore comme un relais pour les travailleurs?
Le PS est au pouvoir, et en tant que syndicalistes quand on a un problème avec les entreprises on doit aller discuter avec le pouvoir qui est en place. Mais on a l'impression qu'ils sont de plus en plus sourds à nos sollicitations. En plus de cela (et ils doivent être clairs là-dessus), on ne peut pas continuer sur les politiques d'austérité telles qu'elles sont, parce qu'il n'y aura pas de différence entre socialistes et libéraux.
Si la majorité des travailleurs en Wallonie ont voté pour un parti socialiste, et en sanctionnant le MR plus particulièrement, on se retrouve aujourd'hui avec un gouvernement qui a un programme MR au carré. C'est une trahison par rapport à l'ensemble des travailleurs qui ont encore voté socialiste aux dernières élections. C'est inacceptable et je trouve qu'il est normal de leur dire que c'est inacceptable.
Que vont-ils faire? Appliquer la règle d'or et donc changer carrément de régime et donner tout le pouvoir à la finance? Ou bien vont-ils réagir? Ce sera un débat qu'ils auront en tant que socialistes. Mais nous, en tant que syndicalistes, on doit leur dire ce qui n'est pas correct et nous continuerons à leur dire systématiquement. Le PS doit être en rupture avec tout ça. 

Nico Cué - congrès MWB
Pensez-vous que le monde du travail peut encore attendre une quelconque rupture de la social-démocratie? Est-ce qu'il ne doit prendre en main lui-même l'alternative?
En tout cas, d'un côté on doit continuer à dénoncer. Et en même temps, s'il n'y a pas d'écoute, je pense qu'il faudra à un moment donné s'attendre à ce que le monde du travail se détourne. Le problème pour nous c'est d'avoir une alternative suffisamment rapide pour qu'il ne se détourne pas vers l'extrême droite, parce que c'est là que se trouve le danger. Tout le danger c'est la non crédibilité, le fait d'avoir sali le mot « socialiste ». On doit être extrêmement attentifs. Et à un moment donné, s'ils continuent sur le même chemin, peut-être nous aussi voir comment on s'interroge sur une alternative autre que le Parti socialiste.

Y a-t-il déjà des gens qui y réfléchissent dans le secteur des métallos? Ou qui réfléchissent à un plan alternatif par lequel le syndicalisme pourrait lui-même avancer?
Du point de vue industriel on a déjà commencé à réfléchir, au niveau européen, à un plan de relance. Il y a des débats et des discussions qui se mènent là-dessus.
Au niveau politique, dans les années 90 nous étions à l'initiative de la création de « Gauches Unies », après le Plan global. Nous avons donc déjà eu une expérience comme celle-là, une expérience qui pour nous n'a pas été positive parce qu'elle portait beaucoup de lourdeurs à l'époque. Aujourd'hui on est dans une situation économique, sociale et politique qui est totalement différente du Plan global. On est dans une transformation de régime et le PS doit le savoir: ou il devient le laquais de la grande finance ou il reste avec nous. Dans le premier cas on devra se passer de lui. Et au niveau des métallos, oui, il y a toute une série de réflexions qui se font en termes de vision pour le futur.

15/04/2012

Le « moindre mal » ne passe plus


  • Entretien avec Daniel Piron, secrétaire régional de la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut.
  • A paraître dans La Gauche

LG : La grève de 24H du 30 janvier est restée sans suites. Les syndicats seraient-ils satisfaits des quelques concessions obtenues ?
Daniel Piron : Nous avons tenu une assemblée interprofessionnelle des militants pour évaluer la situation suite à la grève. Il n’y a pas de satisfaction des militants. Les modifications apportées par le gouvernement ont été qualifiées de cosmétiques. Les axes fondamentaux sont inchangés : travailler plus longtemps, attaquer les chômeurs, attaquer les statuts.
Carsid
Les militants insistent sur le fait que ce n’est pas fini. Nous ne sommes qu’au début de l’offensive d’austérité. Le contrôle budgétaire de mars semble ne pas avoir lancé de nouvelles attaques directes contre les acquis, mais ce n’est qu’un intermède. On parle de 5 milliards d’économies supplémentaires en 2013. Face à cela, les militants méditent l’exemple de la Grèce, où l’austérité continue en dépit de nombreuses journées de grève.
On ne veut pas épuiser les forces. Il faut prendre en compte la difficulté de la situation : poids du chômage, grand nombre de travailleurs pauvres,  segmentation du monde du travail. Le drame chez CARSID par exemple n’est pas seulement la perte d’emploi mais aussi la confrontation aux obligations des crédits contractés dans le cadre d’une société consumériste qui impose ses diktats.