Cette
année la rentrée sociale est en ordre dispersé. Aujourd'hui, vendredi
14 septembre, la FGTB a manifesté dans les beaux quartiers de Bruxelles
« pour le pouvoir d’achat » tout en dénonçant « les exilés fiscaux qui
viennent s’installer à Ixelles pour ne pas payer d’impôt sur la fortune
dans leur pays ». La CSC, la FGTB, la CGSLB, les mutualités et des
associations de lutte contre la pauvreté se retrouveront ensuite devant
le Palais de Justice de Bruxelles le dimanche 30 septembre pour dire
« Stop à la pauvreté ! ». Une manif contre les riches, un rassemblement
contre la pauvreté.
« Stratégie de démobilisation »
Quelques
jours avant la manifestation du 14 septembre, Francis Gomez, Président
de la FGTB Métal Liège-Luxembourg, dénonçait la stratégie de la FGTB
fédérale (Le Soir du 11/9) : « une manifestation décidée au
débotté dans des instances bancalement constituées ». Il ajoutait : « En
outre, il n’y a, à la FGTB, aucune réponse à cette question de simple
bon sens : qu’est-ce qu’on fait après le 14 ? Toute l’histoire des
mobilisations de ces dernières années se résume ainsi : l’appareil
chauffe les 'troupes' puis les abandonne au détour d’un compromis
'responsable' avec le gouvernement et le patronat. C’est, sans remonter
au Plan Global, ce qui s’est passé avec le combat contre le Pacte des
Générations, avec les dernières mobilisations sur l’accord
interprofessionnel ou avec le combat contre le plan d’austérité
gouvernemental. » Sur ce point, il a raison le gaillard...
Où sont les revendications concrètes? Le plan d’action?
Examinons
les tracts d’appel à ces deux mobilisations. Sur le tract de la FGTB
pour le 14 septembre, on pouvait lire les « revendications » suivantes :
Des emplois durables et de qualité (un plan de relance digne de ce nom,
des formations renforcées, une politique industrielle offensive,
priorité aux emplois de qualité, des vrais emplois pour les jeunes à
temps plein et à durée indéterminée), Plus de pouvoir d’achat (pas
touche à l’index, salaires décents, égalité salariale pour un travail
égal, suppression de l’écart salarial entre hommes e femmes,
augmentation du salaire minimum brut interprofessionnel), Protection et
justice sociales renforcées (une société plus solidaire, une fiscalité
plus juste et plus progressive, fin effective du secret bancaire,
protection sociale renforcée, fins de carrière et pensions décentes.
Sur
le tract de la CSC pour le 30, on lit les « revendications » suivantes :
De véritables perspectives d’avenir pour les jeunes (des emplois
durables et de qualité, un accompagnement plus rapide des jeunes dès le
début de la période d’insertion, de vrais parcours de formation dans les
entreprises, un accompagnement des jeunes), Des mesures pour stopper la
pauvreté (augmentation de tous les minima de 2% au moins, adaptation
des autres allocations à l’évolution des salaires, augmentation ciblées
pour les invalides, préservation de l’index, hausse du salaire minimum
et suppression du barème jeunes, concertation sociale efficace, lutte
contre la précarisation des contrats plus d’égalité entre hommes et
femmes, plus d’attention pour les personnes qui reprennent un emploi),
Une fiscalité plus juste (taxation des grosses fortunes et des
plus-values, suppression des impôts forfaitaires, lutte contre la fraude
fiscale et salariale). La FGTB se contente de reprendre l’affiche
commune pour le 30 septembre: emplois durables et de qualité,
allocations décentes liées au bien-être, pensions décentes, droits et
services sociaux accessibles.
Tout
ce matériel de mobilisation n’est qu’un long catalogue de bonnes
intentions sans la moindre revendication concrète chiffrée. Et il n’y a
pas l’ombre d’un plan stratégique pour atteindre les objectifs généraux
énoncés. La manifestation de la FGTB se déroule de 10h à 13h, puis on
remonte dans les cars après avoir reçu un sandwich et une indemnité. Le
rassemblement en front commun du 30 se passe de 13h à 16h, vu l’horaire
il n’est pas sûr qu’il y ait des sandwiches, et comme c’est un dimanche
il n’y aura pas d’indemnité de grève. (C’est toujours ça de gagné pour
la CSC qui se serre la ceinture depuis la faillite d’Arco). Le point
stratégique le plus important pour les états-majors syndicaux est que,
le 30 septembre, leurs « troupes » soient habillées de la bonne
couleur : rouge pour la FGTB, vert pour la CSC et bleus pour « Les
Bleus ». Mais pour le reste, ce n’est pas une ballade de 3 heures dans
les rues de Bruxelles qui permettra d’imposer le catalogue de bonnes
intentions énoncé dans les tracts.
Il faut des revendications unifiantes
Après
des décennies de crise capitaliste, le monde du travail ressemble de
plus en plus à un champ de ruines. Avant il y avait dans les services
publics des agents nommés, dans le privé des ouvriers et employés avec
un contrat à durée indéterminée, des pensionnés, des malades ou
invalides et quelques dizaines de milliers de chômeurs. Aujourd’hui il y
a de moins en moins d’agents nommés dans les services publics, de plus
en plus de contractuels, des précaires à la poste, des ALE, des
articles 16 et une flopée de services publics privatisés. Dans le privé,
il y a de plus en plus de temps partiels, de contrats à durée
déterminée (CDD), d’intérimaires, de boîtes de sous-traitance avec des
bas salaires, des titres services, des plans Activa, des prépensionnés,
et des centaines de milliers de chômeurs. Conséquences : un délégué
syndical devrait aujourd’hui avoir presque une formation de juriste pour
connaître à fond toutes les implications de ces différents statuts.
Mais surtout cette fragmentation du salariat en une multitude de statuts
contribue à appauvrir globalement la masse des salariés, fait régresser
la conscience d’appartenir à une même classe sociale, renforce
l’individualisme et l’esprit de débrouille individuelle, affaiblit la
capacité du mode du travail à défendre collectivement les rémunérations
et les conditions de travail.
D’où
l’importance de dégager une ou deux revendications unifiantes (et pas un
catalogue dans lequel le patronat pourra faire le tri) qui concernent
l’ensemble du monde du travail et qui ouvrent la perspective de lutter
tous ensemble. Par exemple, en vue du prochain accord
interprofessionnel, revendiquer une augmentation de 200 euros bruts par
mois pour toutes et pour tous (ouvriers, employés, fonctionnaires,
chômeurs, malades, pensionnés, prépensionnés, intérimaires, etc.). En
outre, une telle augmentation profiterait proportionnellement plus aux
petits revenus.
La concertation sociale est morte, place à la lutte
« Mais
le patronat ne voudra jamais accepter une telle revendication dans le
cadre de la concertation sociale » feront judicieusement remarquer
quelques journalistes futés. De son côté, la CSC réclame dans son tract
une « concertation sociale efficace ». Elle n’a pas l’air de comprendre
que la concertation sociale est morte. La façon dont Di Rupo a imposé
son plan d’austérité en novembre 2011, sans la moindre concertation
sociale préalable en est la démonstration la plus flagrante. Le fait que
les conventions collectives qui dépassent la norme salariale (0% en
2011 et 0,3% en 2012, c’est-à-dire quasi rien !) ne seront plus rendues
obligatoires par arrêté-royal en est une autre illustration.
Dans
la crise actuelle du capitalisme, la concertation sociale mise en place
entre patronat et syndicats après la Deuxième Guerre mondiale
représente, aux yeux du patronat, un système obsolète. Désormais, le
patronat fera semblant de concerter mais ne lâchera rien. La seule façon
pour les travailleurs d’arracher des acquis sera la lutte.
Il
n’appartient pas à la LCR, pas plus qu’à une autre organisation, ni aux
états-majors syndicaux de décider de la meilleure revendication possible
à mettre en avant. La démocratie syndicale est une arme redoutable si
les travailleurs parviennent à s’en saisir et à la faire appliquer. Des
assemblées syndicales régionales interprofessionnelles rassemblant des
délégués élus par les ouvriers, les employés, les agents des services
publics, les chômeurs et prépensionnés, les pensionnés sont le lieu où
les revendications essentielles et le plan d’action devraient être
discutés et décidés.
Rompre avec le PS
Réagissant
aux critiques de Francis Gomez, Anne Demelenne (secrétaire générale de
la FGTB Fédérale) expliquait à la presse qu’elle « devait tenir compte
des avis de toutes les centrales au sein de la FGTB ». C’est une
demi-vérité car Anne Demelenne oublie de dire qu’elle doit aussi tenir
compte de l’avis du PS (elle siège comme suppléante au Bureau du PS,
tout comme Thierry Bodson). Le PS occupe la première place dans ce
gouvernement d’austérité. Plus le temps passe, plus les attaques contre
le monde du travail vont se répéter et plus la situation de Demelenne et
Bodson deviendra inconfortable, et plus la rupture de la FGTB avec le
PS deviendra inévitable.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Expimez-vous, vous aussi faites entendre votre opinion!