Une contribution d'Alain Van Praet
Depuis lors, le chômage de masse s’est incrusté
dans nos sociétés et les politiques d’austérité sont devenues un must pour
les différentes coalitions gouvernementales qui se sont succédées, avec des
points communs : la fascination devant l’idéologie néolibérale et
une addiction à ses amères potions antisociales.
Les plus anciens se souviennent, par exemple, du
gouvernement Martens-Gol, qui de 1981 à 1986, a lancé des trains de mesures
« austéritaires » de très grande ampleur.
« Austéritaire », car mélange décomplexé d’austérité et
d’autoritarisme : avec le recours aux pouvoirs spéciaux pour imposer des
mesures fortes comme la suppression de 4 indexations !
Naturellement, cette agression n’est pas restée
sans résistance de la part du mouvement syndical, qui a mené de
nombreuses luttes. Mais celles-ci ne furent pas à la hauteur des coups de force
gouvernementaux et se soldèrent finalement par un échec (l’impossibilité
d’empêcher la mise en œuvre des mesures gouvernementales).
Dehaene et Martens |
Puis vint un semblant d’éclaircie marqué par le
« retour du cœur » et des amis de Guy Spitaels au gouvernement. De
courte durée, car la réalité de la « rigueur » a vite repris le
dessus. Impossible ici d’énumérer les multiples décisions négatives prises tout
au long de ces années de plomb, mais on mentionnera quand même le « plan
global », et plus près de nous le « pacte des générations ».
Bien sûr, ces épisodes ont également été marqués par des luttes syndicales, de
grandes manifestations et même des grèves générales, en front commun cette
fois-ci. Hélas, souvent ces combats sont restés sans lendemains car très
rapidement les directions sont retombées dans leur obsession de la
concertation.
C’est aussi pendant toute cette période que des
mesures lourdes de conséquence ont été ratifiées avec l’aval du PS : la
loi sur les salaires de 1996 (le fameux carcan salarial), le traficotage de
l’indexation (index santé et lissé), des privatisations sur fond de politique
européenne de libéralisation et de déréglementation à tous vents, mais aussi de
nombreuses attaques contre le mouvement syndical et le droit de grève notamment
(de fréquents recours aux tribunaux, qui ont régulièrement imposé des
astreintes pour forcer la levée des piquets).
Et nous voilà donc confrontés à un bilan
paradoxal :
·
Les syndicats défendent le secteur public et le
service au public. Mais le processus de privatisation a entamé sa longue
marche, et aucun grain de sable syndical n’a pu l’enrayer. Dans les moments
décisifs, c’est même une coupable inertie qui a caractérisé l’attitude du
mouvement syndical : pas une seule journée d’action, pas une seule journée
de grève, rien que des déclarations ou des communiqués de presse insipides,
sans réelle portée pratique !
·
Les syndicats défendent l’emploi. Mais ils ont
donné leur aval à des réductions massives d’effectifs et négocié, sans grande
réticence, des volets sociaux lors de chaque restructuration d’entreprises
réputées « en difficulté ». Dans le même temps, la revendication
centrale de la réduction généralisée du temps de travail a été reléguée, avec
bien d’autres éléments programmatiques, dans les tiroirs poussiéreux des
appareils.
·
Les syndicats défendent les conditions de travail.
Mais celles-ci ne cessent de se dégrader (développement de la flexibilité,
productivité exigée toujours plus élevée), entraînant un mal-être massif, la
multiplication de maladies et d’accidents du travail.
·
Les syndicats défendent les salaires et le pouvoir
d’achat. Mais ils on été incapables de préserver l’intégrité du système
d’indexation et se plient à la contrainte de la « norme salariale » à
l’occasion des négociations d’AIP !
·
Les syndicats défendent le bien-être de chacun et
de chacune. Mais les travailleurs subissent des restructurations permanentes,
des fermetures ou des délocalisations, avec pour corollaire le démantèlement
des collectifs de travail, le recul des solidarités, le développement d’une
société d’individus « atomisés ».
Tous ces revers découlent d’une impasse stratégique
du mouvement syndical, d’une perte de repères idéologiques, de sa politique de
cogestion et de copinage avec des « amis politiques », des libertés
prises avec la démocratie interne, de l’entretien habile d’une culture de la
résignation, d’une absence d’alternative crédible.
Et nous nous retrouvons ainsi, en ce début
2012, en mauvaise posture, dans une situation difficile et complexe.
Il est clair qu’un changement radical de cap
s’impose, mais cela fait plus de 30 ans que cette problématique est
posée, cela fait plus de 30 ans que des militants syndicalistes de gauche
essaient de « bouger les lignes », et cela fait plus 30 ans que ce
virage indispensable n’a pas été négocié.
Comment passer d’une position défensive à une
position offensive ? Comment se débarrasser des politiques
d’accompagnement de la crise du capitalisme et des attitudes conniventes avec
ses thuriféraires, au profit d’une orientation contestataire? Comment sortir du
piège de la concertation ininterrompue pour créer de nouveaux rapports de force
favorables au mouvement syndical ? Comment abandonner un programme fragile
de demi-mesures reposant sur des illusions (dans les vertus sociales et
démocratiques de l’UE, par exemple) pour s’orienter vers de véritables
solutions de rechange, en rupture avec un mode de production et de consommation
qui nous conduit dans une dangereuse impasse ? Comment transformer des
organisations devenues des machines à rendre des services et à payer des
allocations de chômage en véritables organisations combatives ? Et comment
un mouvement qui présente autant de lacunes pourrait-il jouer un rôle dans
l’émergence d’une véritable alternative politique, à même de déboucher sur une
transformation en profondeur de la société ?
On le voit, il y a vraiment matière à débattre.
Ce blog est dédié à ce type de discussion : je
ne peux que vous inviter à vous précipiter sur vos claviers pour alimenter le
débat. http://debat-syndicats.blogspot.com
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