Au lendemain de la grève générale du 30 janvier, son image a fait le tour de l’Europe, et même plus loin. Lui c’est François Houart, comédien, militant. « Le Soir » n’avait retenu que « La FGTB avait amené Elio en personne ! Un comédien bruxellois a parodié notre Premier ministre sous les quolibets amusés »…
Nous l’avons rencontré en compagnie de Freddy Bouchez, animateur au Cépré[1], l’ASBL d’éducation permanente de la FGTB Centre.
Q. D’abord, il
faudrait rendre au Cépré ce qui appartient au Cépré. Freddy, tu peux nous
expliquer d’où vient cette idée de produire ce spectacle de rue ?
FB\ Ce n’est pas la première fois, dans le cadre des activités de l’ASBL Cépré que l’on utilise l’outil « théâtre-action ». On l’a déjà fait
pour sensibiliser et organiser des actions, sur des réalités vécues par les
travailleurs sans emploi ; on a popularisé, par exemple, le livre
« Paroles de chômeurs » à partir de lectures théâtralisées permettant
à des travailleurs sans emploi de devenir les acteurs de leur propre vie…
Par rapport aux mesures d’austérité du gouvernement Di Rupo, on a constitué un « comité
d’action contre l’austérité », le constat de départ étant qu’il y a encore
beaucoup de gens qui ne sont pas sensibilisés sur le contenu des mesures et de
la manière dont cette austérité va les toucher. Dès lors, elles ne se
mobilisent pas. Particulièrement toute la couche de travailleurs qui ont
(encore) un contrat à durée indéterminée avec un salaire plus ou moins
convenable, étant donné que dans un premier temps les mesures ne vont toucher
que le chômage, les jeunes, les prépensions, les pensions. Dans le comité
d’action on a décidé de créer une campagne de sensibilisation dans les villes
et villages de la région. D’utiliser le théâtre-action pour réoccuper l’espace
public, les marchés, les places… Au cours d’une réunion du Comité d’Action est
venue l’idée de monter un sketch qui met en scène le premier ministre Elio Di
Rupo, surtout pour déconstruire les arguments avancés par le gouvernement pour
justifier cette austérité qui serait inévitable. Nous, nous disons tout le
contraire, cette austérité n’est pas une fatalité !
Q. Freddy a dit
« déconstruire » le discours dominant… mais ce qui
« marche » bien dans ce spectacle de rue, c’est l’imitation,
le détournement du discours d’Elio Di Rupo. François, tu commences les
phrases comme lui mais ensuite tu dis le contraire de lui ; finalement tu
trahis ce qu’il dit, ce n’est pas un peu malhonnête cela ?
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30/01 : le faux devant le domicile du vrai, avec son fou... |
FH\ Dans cette discussion avec les militants,
tout le monde disait que le discours lénifiant et manipulateur d’Elio Di Rupo
c’est ce qui qui les écœure. Finalement, c’est le président d’un parti qui
s’est fait élire en disant qu’il était le seul à pouvoir s’opposer au
« bain de sang social »… Or, avec le plan d’austérité, les gens ici,
le bain de sang social, c’est eux qui le prennent dans la gueule et ils se
disent, « quoi ? le PS est au gouvernement et Di Rupo est
premier ministre, et c’est eux, aujourd’hui les instigateurs du bain de sang
social ! » Ils se sentent trahis.
La « déconstruction » du discours dominant est
urgente car il fait des ravages chez les travailleurs et même au
syndicat : beaucoup partent au combat battus d’avance ou pour un
« baroud d’honneur ». C’est la preuve que toute la stratégie de
communication d’un homme politique comme Di Rupo, c’est quelque chose d’affiné
et qui marche encore sur la population. On a donc voulu prendre ce discours à
contre-pied. Ce qui donne un effet assez surprenant car plutôt que d’en faire
une caricature de comploteur machiavélique, on en a fait un gars qui
dit avec candeur: « on va continuer, pas à pas, à construire l’Europe
des banques sur les ruines de l’Europe sociale comme nous le faisons depuis 30
ans.. ». Ça n’a rien de malhonnête car quoi qu’ils disent de leurs
« convictions », on sait que partout, quand ils sont au pouvoir par
le passé comme maintenant, les partis sociaux-démocrates font passer de sales mesures en utilisant les
mêmes arguments. Ce qu’on voulait faire c’est
déconstruire cette sorte de « pensée magique » qui a gangrené
la social-démocratie : la croyance aveugle et dogmatique dans les dieux
des Marchés, les financiers comme ceux de l’emploi ! On a fait comme si Elio Di Rupo avait pris
une pilule d’ecstasy et qu’il ne maîtrise plus tout à fait ce qu’il raconte et
va jusqu’au bout de ses raisonnements, il n’essaie plus d’enrober son
discours : « On vous dit :
indignez-vous ? Je vous réponds : résignez-vous ! »
Q. Ouvrons une
parenthèse et faisons un parallèle avec la Grèce : on en est au 7ème
plan d’austérité en deux ans et la
situation est catastrophique, on parle de début de famine, des études montre
les ravages sur la santé, les tendances suicidaires d’une large partie de la
population,… c’est ça qui nous attend ? Alors quoi, ils sont
aveugles ?
FH\ Ils ne sont
pas aveugles, ils n’ont pas le courage politique d’envisager des alternatives
de gauche.Remettre en cause cette dette injuste, ils ne le feront que si on les
y oblige. Car comme le dit notre Elio : « Nous nous sommes volontairement
pieds et poings liés à l’Europe des Marchés ! ».
FB\ Le PS tient depuis longtemps ce
discours de résignation. On a parlé de la problématique de la chasse aux
chômeurs, je me souviens en 2004, lors d’un débat à Bruxelles organisé par la
plateforme « Stop Chasse aux chômeurs », où le président du PS, Elio
Di Rupo, nous a dit carrément « votre combat est louable, mais nous, vu
les pressions de l’Union Européenne, on ne peut pas faire autre chose que
mettre des rustines pour que cela fasse le moins mal possible ». Ils sont
persuadés qu’il n’y a pas d’autre politique possible. On peut aussi se demander
s’ils croient encore en la possibilité de contrer le capitalisme… Aujourd’hui
disent qu’ils défendent ce qu’ils appellent une « économie sociale de
marché »
FH\ D’ailleurs
c’est symptomatique qu’Elio ne dénonce que l’ultralibéralisme, les superprofits,
les dérives des spéculateurs, etc…pour lui ce n’est pas le
capitalisme qui est responsable de la crise mais quelques excès.
FB\ Mais ce
concept d’économie sociale de marché n’a aucun sens. Quand on regarde les
politiques menées ces dernières années, on voit bien que le social a été broyé
partout. A commencer par les systèmes de Sécurité Sociale, la bourgeoise est
entrain de reprendre ce qu’elle a dû concéder au mouvement ouvrier quand le
rapport de forces lui était plus favorable.
Q. Est-ce que
vous ne croyez pas que les socialistes ont franchi une étape supplémentaire, un
saut qualitatif? Au cours des négociations pour la constitution du
gouvernement, notamment quand la « note Di Rupo » fait une
synthèse des propositions socio-économiques émises par les différents partis,
faisant une part belle à la ligne de la NVA qui ne cache pourtant pas qu’elle
roule pour le patronat flamand... On ne
reviendra plus en arrière : c’est le « catalogue des horreurs »
que le gouvernement veut faire passer en trombe…
Avant les socialistes disaient « sans nous ce serait
pire » ou bien « on est là pour arrondir les angles de mesures
difficiles », maintenant ils disent « il faut rentrer dedans »
et ils accusent les syndicalistes d’être excessifs. C’est la phrase d’Elio Di
Rupo aux syndicalistes de la CGSP : « Vous conduisez le peuple vers
l’abime »…
Dans la logique de déconstruction du discours dont vous
parliez tantôt, n’est-ce pas important de faire prendre conscience aux gens, et
en particulier aux syndicalistes, de ce changement assez radical ? Ce
n’est plus l’ultra capitalisme qui serait in fine le seul responsable, mais
aussi ceux qui défendraient de manière irresponsable leurs droits ; on
inverse véritablement les responsabilités… A partir de ce moment-là croire
qu’on peut demander au PS d’être un relais politique pour faire passer telle ou
telle revendication, n’est-ce pas fini, de l’illusion?
FH\ Oui, on
inverse tout à fait le discours. Le PS a pu apparaître comme relais politique « naturel »
des organisations syndicales pendant longtemps, tant que les gens du PS
vivaient encore dans l’idée qu’il y avait des grosses miettes du gâteau capitaliste
à ramasser pour les travailleurs. C’est fini. Le libéralisme même, l’idéologie
libérale, ont fait des dégâts. Avant il y avait même au PS des gens qui
pensaient sincèrement aller cahin-caha vers le socialisme. André Renart a parlé
des « Réformes de Structure Anticapitalistes » devant 40.000
grévistes ici à La Louvière en 60.. Mais aujourd’hui on a remplacé ces mots par
toute une logorrhée, installée par l’idéologie libérale, de « saine gouvernance », de
« régulation des marchés », d’employabilité… ce sont des technocrates
qui sont aux manettes et quand ils sont au PS ils teintent leur discours d’un
peu plus de social que les autres.
Avant d’écrire le sketch, j’ai étudié soigneusement de
nombreuses interviews de Di Rupo, il y a plein de moments où il dit « je
ne suis pas contre le profit, ce qu’il faut simplement c’est qu’il y ait des
retombées pour tout le monde ». Mais évidemment quand cette machine-la est
en panne -et elle est en panne, comment le nier : après les
superbénéfices, la Xème crise est venue en 2008- les gens commencent à douter.
Il y a un choc, il y a une opportunité pour amener d’autres idées et les mettre
à portée de tous.
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Freddy Bouchez (à gauche) |
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FB\ On est en
train de casser la Sécurité Sociale. Chaque fois, ils disent « ce serait
pire sans nous » mais chaque fois on accepte des reculs sociaux de plus en
plus importants. Si on considère que la conquête de la Sécurité Sociale,
c’était une « révolution », ou au moins une réforme sociale majeure,
il faut bien constater qu’ils sont passés dans l’autre camp, dans le camp de la
contre-réforme libérale. Ce qui est dramatique c’est qu’au niveau syndical,
face à cette évolution il y a un certain désarroi.
FH\ On est dans
l’impasse. Il y a un vide. On n’a plus de relais politique naturel.
FB\ Par rapport
à nos revendications, on n’a plus de relais politique. C’est bien clair. Ceux
qui étaient considérés comme des amis politiques sont devenus des adversaires.
Les seules forces qui portent encore des revendications anticapitalistes se
trouvent dans le mouvement syndical, dont des ailes importantes ont aussi radicalisé
leurs analyses (par exemple dans la FGTB wallonne). C’est un contexte assez
difficile, qui plonge beaucoup de syndicalistes dans le désarroi. Mais à partir
de ce contexte nouveau il faut réinterroger les stratégies syndicales : il
faut que le syndicat se positionne différemment pas rapport au politique, il
faut rompre avec les anciens relais. Il faut en tout cas un mouvement syndical
plus offensif qui détermine ses positions en toute indépendance. Il faut des plans d’actions plus convaincants
pour éviter de devoir « atterrir » n’’importe comment. Cela implique
que même quand on a perdu une bataille, on continue à se battre pour nos
alternatives plutôt que de se jeter sur des « compromis » qui se
traduisent en reculs sociaux successifs. Nos luttes doivent être plus
déterminées et aller jusqu’au bout.
propos recueillis par Freddy Mathieu
[1] ASBL Cépré -Centre d’Education Populaire Régional (Régionale du Centre du CEPAG)- : Le comité d’action contre l’austérité de l’ASBL CEPRé a été présent dans les rues et sur les piquets de grève, les 28 et 30 janvier 2012, la « joyeuse entrée d’Elio 1er dans sa bonne ville de La Louvière » et la présence du « premier sinistre » à Mons, le 30 janvier…
Prochaine réunion du comité d’action contre l’austérité de l’ASBL CEPRé, qui aura lieu le mercredi 22 février 2012 à 18 h 30, rue Henry Aubry, 23 à 7100 Haine-Saint-Paul (dans les locaux de la FGTB/Centre) – contact : Tél : 064/236173