- Entretien avec Daniel Piron, secrétaire régional de la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut.
- A paraître dans La Gauche
LG : La grève de 24H du 30 janvier est restée sans
suites. Les syndicats seraient-ils satisfaits des quelques concessions
obtenues ?
Daniel Piron : Nous avons tenu une assemblée
interprofessionnelle des militants pour évaluer la situation suite à la grève.
Il n’y a pas de satisfaction des militants. Les modifications apportées par le
gouvernement ont été qualifiées de cosmétiques. Les axes fondamentaux sont
inchangés : travailler plus longtemps, attaquer les chômeurs, attaquer les
statuts.
Carsid |
Les militants insistent sur le fait que ce n’est pas fini.
Nous ne sommes qu’au début de l’offensive d’austérité. Le contrôle budgétaire
de mars semble ne pas avoir lancé de nouvelles attaques directes contre les
acquis, mais ce n’est qu’un intermède. On parle de 5 milliards d’économies
supplémentaires en 2013. Face à cela, les militants méditent l’exemple de la
Grèce, où l’austérité continue en dépit de nombreuses journées de grève.
On ne veut pas épuiser les forces. Il faut prendre en compte
la difficulté de la situation : poids du chômage, grand nombre de
travailleurs pauvres, segmentation du
monde du travail. Le drame chez CARSID par exemple n’est pas seulement la perte
d’emploi mais aussi la confrontation aux obligations des crédits contractés
dans le cadre d’une société consumériste qui impose ses diktats.
L’issue pour le monde du travail ne réside donc pas
seulement dans l’action mais aussi dans une double réflexion sur les objectifs
et sur l’alternative politique. Car cette question se pose : aujourd’hui,
on a le choix entre chou vert et vert chou. On me répondra que la Belgique
implique des coalitions, qu’il faut composer. Mais à force de composer, on se
décompose. Aucun parti politique n’est en capacité de porter les revendications
du monde du travail.
LG : Il ne suffit donc pas de lutter « comme en
60-61 »…
D.P. : Une époque n’est pas l’autre et il faut se méfier
des comparaisons, mais je pense que la situation actuelle ressemble davantage à
celle de 30-36 qu’à celle de 60-61. Il y a un chômage massif qui permet aux
patrons de faire pression sur les salaires et les conditions de travail. Le
capital s’enrichit de façon extraordinaire et certains patrons en reviennent à
des méthodes dignes des années 30. C’est ce qu’on a vu chez Meister. Ce n’est
évidemment qu’un cas isolé, mais il est inquiétant de constater que le patronat
a commenté l’affaire en mettant sur le même pied le recours de l’entreprise à
des milices privées et le soi-disant « terrorisme syndical ».
Dans cette situation, il nous semble nécessaire de mener une
réflexion stratégique, qui va au-delà des mots d’ordre d’action. Cela peut donner
l’impression que nous nous contentons d’encaisser les coups, mais ce n’est pas le
cas. S’il suffisait de claquer des doigts pour avoir deux semaines de grève
générale, ce serait simple. Mais inutile de rouler des mécaniques : il
faut reconnaître que nous avons des problèmes. Les gros bastions syndicaux,
c’est terminé, ou presque. La contamination de la classe ouvrière par
l’individualisme est réelle et nous sommes en difficultés face à cela. Il
y a un combat idéologique à mener contre la pensée néolibérale. Il faut montrer
que ses concepts sont profondément anti-humains.
LG : Dans vos assemblées, la critique du PS est
virulente…
DP : Ce
n'est pas d'aujourd'hui que des militants politisés dénoncent le PS.
Mais ce qui est nouveau, c'est que d'autres s'y mettent. Des
militants politisés qui voyaient le PS comme un
rempart disent : «on s’est trompés ». Des membres critiques du PS sont
très acerbes. Nos assemblées regroupent 200 militants sur 102.000 affiliés. Je
reste donc prudent. Je pense toutefois que ce que nous y entendons traduit un
sentiment très répandu. Quelque chose se passe. Les gens ont le sentiment
d’avoir été abandonnés.
Les mesures du budget 2012 ont provoqué ce déclic. Le «
moindre mal » ne passe plus. La réforme de l’assurance chômage condamne des
dizaines de milliers de gens à la pauvreté. La réforme de la fin de carrière
fait fi de l’usure des travailleurs âgés (pas seulement chez les ouvriers)
alors qu’il y a tant de jeunes au chômage. Alors, de deux choses l’une : soit
le PS est contre, sort et se bat ; soit il collabore à l’euthanasie d’une
génération de chômeurs. Car c’est de ça qu’il s’agit. On nous dit : « Ce sera
un boulevard pour la droite ». Mais le PS surfe sur la vague de droite. S’il
était dans la rue avec nous, on pourrait coaliser à gauche et mettre une
alternative en perspective. Mais pour cela, il faudrait que le PS partage nos
valeurs. Ce n’est plus le cas. Des camarades de Verviers ont demandé au
président du PS, Giet, ce qu’ils devaient dire aux milliers de jeunes qui
seront exclus du chômage en janvier 2015. Il est resté sans voix.
LG : La politique de l’Olivier wallon n’est-elle pas
différente ?
DP : Non, la philosophie est la même. Je donne deux exemples
concrets, dans le cadre du contrôle budgétaire wallon. Un : on supprime l’Euro
de l’heure perçu par les chômeurs en formation. Cet Euro sera intégré
provisoirement aux frais de déplacement, donc à terme supprimé. Deux: les
syndicats ont obtenu de la Région une dotation permettant de financer des
accompagnateurs qui aident les chômeurs en amont et en aval de l’ONEm. Elle est diminuée. Au niveau fédéral on augmente le contrôle des chômeurs et, au niveau
régional, on réduit les moyens qui permettent aux syndicats de les aider. La
logique est la même : le chômeur est coupable.
Daniel Piron |
LG : Comment abordez-vous la question d’un nouveau relais
politique?
DP : Nous pensons qu’il faut aller vers une alternative
politique à gauche du PS et d’Ecolo mais nous excluons la précipitation. On m’a
invité à mettre en place un Front de Gauche le 21 avril. J’ai décliné au nom de
la FGTB, avec l’accord de toutes les centrales. On n’est pas dans une course à
l’échalote. Il ne s’agit pas d’avoir un Front de gauche aux communales parce
que le Front de gauche est à la mode.
Nous n’allons pas courir derrière tout ça. Nous entamons une réflexion. L’enjeu
est très important et nous voulons réussir. C’est pourquoi nous voulons avancer
dans la clarté, intelligemment, dans la durée.
Je veux être clair : nous avons été voir Mélenchon à Lille
parce que sa campagne est porteuse d’espoir. C’est un exemple qu’il est
possible de créer une force nouvelle. Mais nous ne ferons pas de copier-coller.
De plus, nous sommes contre tout culte de la personnalité. Ce qui nous intéresse dans cette expérience,
c’est deux choses : battre la droite et rassembler à gauche du PS et d’ECOLO.
LG : S’agit-il de créer un aiguillon pour ramener le PS à
gauche ?
DP : Si le PS pouvait revenir à gauche, ça se saurait. Par
contre il y a peut-être des militants au PS prêts à s’engager pour une force de
gauche sur un programme porté par la FGTB.
LG : Comment conciliez-vous cela avec l’indépendance
syndicale ?
DP : Nous restons attachés à l’indépendance syndicale. Mais
indépendance ne signifie pas apolitisme. On peut avoir des relations avec un
nouveau parti, on peut appeler à voter pour lui tout en gardant son
indépendance. Le PS a dérivé, rien ne garantit qu’une autre formation ne
dérivera pas.
LG : Comptez-vous contribuer concrètement à ce qu’un parti
se forme ? Comment ?
DP : Nous avons une déclaration de principes et un programme
qui est politique. Il implique une vision de la société et de son organisation.
Nous pouvons mettre autour de la table les gens qui partagent cette vision. On
ne fera pas le travail à leur place mais on peut vérifier que tous ceux qui
doivent y être y soient et que l’intérêt du monde du travail soit au poste de
commande.
LG : C’est du contrôle ouvrier sur le politique ?
DP : Oui, c’est du contrôle ouvrier. Le citoyen ne contrôle
pas le politique. On vote, puis on laisse faire. Nous voulons changer cela.
LG : Un nouveau parti : antilibéral ou anticapitaliste ?
DP : Anticapitaliste. Réguler le capitalisme et ses excès,
c’est la vocation de la social-démocratie. Quel est le bilan ? En 2008, on a
parlé de régulation mais on a laissé le capital continuer à agir comme il
l’entend. Globalement, il triomphe. Jusqu’à quand ? Je doute que ce système se
plantera tout seul. On peut penser qu’il va dans le mur. Mais il a une grande
capacité d’adaptation… sur le dos du monde du travail.
LG : Quelle revendication anticapitaliste face à la finance
?
DP : Il est indispensable de nationaliser. Je ne vois pas
comment y échapper. Il faut une banque publique
pour jouer le rôle d’une banque : investir dans l’économie, pas
spéculer. Pas à côté des banques privées, mais en remplacement de celles-ci.
LG : Ne craignez-vous pas la marginalité électorale?
DP : Nous avons besoin d’un travail préparatoire, en
profondeur, avec nos militants, dans nos instances. Plusieurs tentatives ont
échoué pour cause de précipitation. Nous ne pouvons pas nous permettre l’échec.
LG : Vous souhaitez fonder un parti de la FGTB ?
DP : Non, nous voulons un parti qui porte les revendications
et les besoins du monde du travail. On
est toujours plus forts ensemble. A Charleroi, nous avons toujours privilégié
le front commun syndical. Nous ne voulons pas faire du prosélytisme. Mais il
faut se mettre d’accord sur le fondement anticapitaliste.
LG : Et l’Europe ?
DP : On ne peut pas concevoir une alternative politique au
niveau national. On peut commencer à ce niveau, mais il faut dépasser les
frontières : au sein de la Belgique, en Europe et au-delà.
Nous ne sommes pas anti-européens, nous sommes contre cette
Europe menée par le capital, par les financiers, pour une autre Europe. Il y a
du boulot à coordonner dans tous les pays d’Europe. En Grèce, les forces à gauche
du PASOK montent dans les sondages. En France, le Front de Gauche peut arriver
en troisième position au premier tour de la présidentielle.
LG : Vous avez reçu une délégation de la LCR. C’est elle qui
vous a mis ces idées en tête ?
DP : (rire) Lors de notre congrès de 2010, nous avons décidé
de nous ouvrir à toutes les organisations démocratiques de gauche. Tout parti
de gauche démocratique qui veut nous présenter une proposition constructive
peut frapper à notre porte. La LCR a demandé à nous exposer sa « Lettre ouverte
aux syndicalistes ». Nous avons constaté une convergence dans l’analyse. Dans
ce cadre, nous avons eu un débat. La LCR n’a pas essayé de nous vendre son
programme à coups de « yaka ». Nous avons apprécié, c’est tout. Le PTB nous a
demandé une entrevue pour nous présenter son programme. On sait lire, cela ne
nous intéresse pas. Nous voulons fédérer, pas faire du shopping.
LG : A l’occasion de l’affaire Wesphael, le porte-parole du
PTB a déclaré que son parti voulait l’unité des forces de gauche. N’est-ce pas
positif ?
DP : Avant les élections législatives, nous avons accueilli
les porte-parole des forces de gauche pour un débat à la FGTB. Le porte-parole
du PTB a fermé la porte à l’unité en disant que son parti est le leader du
marché. J’ai donc été frappé par cette
déclaration dans Le Soir, sur l’unité. Est-elle partagée par le PTB ? Est-ce un
nouveau souffle ? Si oui, je m’en réjouis.
Michel Hutsemékers via Fgtb Verviers
RépondreSupprimerJe suis fondamentalement pour que le syndicat reste en dehors de la politique, je suis aussi 100% pour plus de participation du Peuple à son avenir et aux décisions qui le concerne, mais pour cela c'est la Constitution qu'il faut changer, et je ne crois pas que le monde politique corrompu jusqu'à l'os, va laisser le Peuple lui mettre des garde-fous, ce serait pourtant bien nécessaire et parfaitement légitime. En Belgique, il n'y a pas de démocratie, les "élus" ont tout à dire, c'est anormal, le Peuple est continuellement roulé dans la farine, ça doit changer, et pour ça, le syndicat doit rester une force indépendante dirigée uniquement par le monde du travail. Il y a des messages à faire passer, il faut aussi garantir l'accès et la liberté sur internet, ne pas voter bêtement toutes les lois limitant "sois-disant" certaines diffusions pour de "sois-disant" droits d'auteur...attention Amis de facebook, nous sommes continuellement attaqués de ce côté, restons vigilants, c'est une arme pacifique qui ne doit pas nous échapper !!! Rappelez-vous, en 40, vous ne pouviez même pas avoir de radio...pensez-y...Quand votre pc deviendra une gêne, il sera interdit...comme en 40 ! C'est maintenant qu'on doit se mobiliser, et votre syndicat est le meilleur endroit, il y a une structure qui fonctionne, faisons-en un rempart et évitons les dérapages salariaux internes, qui existent déjà, malheureusement. Mais restons maîtres du jeu, c'est l'avenir de tous les travailleurs qui est en jeu, de même que toute leur famille.