Ce gouvernement, avec à sa tête un premier
ministre socialiste, a lancé un vaste plan d’austérité et de régression
sociale, avec, pour 2012, une facture de quelque 14 milliards d’euros, à payer,
pour l’essentiel, par les travailleur/euse/s et les allocataires sociaux.
Qu’est-ce qui te scandalise plus dans ce
premier train de mesures.
Daniel Richard :
En tant que responsable syndical interprofessionnel, ce qui me révolte le plus,
ce sont les mesures prises concernant le chômage. Ce sont des mesures qui visent
à créer la division entre travailleurs avec ou sans emploi et qui frappent,
d’une manière ou d’une autre, tous les chômeurs et chômeuses.
Ce qui est particulièrement odieux, c’est, d’une part, la
dégressivité renforcée des allocations de chômage jusqu’à des montants minimum
forfaitaires pour une majorité de chômeurs, et, d’autre part, la limitation à
trois ans des allocations d’attente, rebaptisée allocations d’insertion, pour
les jeunes sans emploi ou des travailleurs n’ayant pas suffisamment de jours de
travail pour avoir droit au chômage
complet. Cette catégorie de personnes
devra frapper à la porte des CPAS des communes, qui sont déjà
financièrement étranglées et ne pourront pas compter sur le pouvoir de tutelle
régional qui, lui aussi, est désargenté.
On va donc assister à une paupérisation progressive et
généralisée de la population déjà la plus fragilisée. Et, après ça, on va
s’étonner du développement du travail au noir ! Et puis, et cela plaide
pour la solidarité dans l’action entre travailleurs avec et sans emploi, cette
précarisation renforcée et généralisée du marché du travail va tirer vers le
bas les conditions de travail et de rémunération de tous les travailleurs.
Je note également que ces différentes mesures vont nous
tomber dessus, et comme par hasard, soit après les élections communales de
cette année, soit après les élections législatives de 2014 !
Pour les trois prochaines années, c’est déjà
décidé, il faudra trouver encore 14 milliards d’euros pour réduire le déficit
public. A quoi peut-on, doit-on encore s’attendre ?
Daniel Richard :
A tout ! N’oublions pas que le plan d’austérité se situe dans le cadre
européen, en liaison directe avec les décisions prises au sein du Conseil
européen des chefs d’Etat et de gouvernements, avec, encore dernièrement, le
fameux pacte Euro Plus le « Six Pack »), signé en mars 2012. Di Rupo,
notre premier ministre l’a également signé. Il n’y a pas que les mesures prises
pour l’équilibre budgétaire, mais aussi pour réduire la dette publique des
Etats. En Belgique, la décision prise pour réduire la dette publique, en la
faisant passer, dans un premier temps, de 100% à 80% du PIB entrainera une
ponction du budget de l’Etat de quelque 5 milliards d’euros. Dès lors, aux 14
milliards d’euros, on peut y ajouter ces 5 milliards.
Je me rappelle d’une déclaration faire par Herman Van
Rompuy, Président du Conseil européen : « La crise est une
opportunité pour réussir des politiques qu’on n’aurait pu faire passer par la
négociation ». En fait, c’est tout le « modèle social »,
construit au lendemain de la seconde guerre mondiale, qui est en train d’être
liquidé.
Je suis en total accord avec la phrase qui introduit
la » Lettre ouverte de la LCR aux syndicalistes » : « Nous
ne sommes qu’au début d’une régression sociale qui vise à liquider ce qui reste
de nos acquis sociaux, déjà terriblement mis à mal depuis trente ans ».
Ceux qui disent
que cette crise n’est qu’un mauvais moment à passer, faisons le gros
dos, se trompent. Nous sommes dans une crise profonde, structurelle. Et
l’objectif des forces en face, c’est la destruction du modèle social, construit
au lendemain de la seconde guerre mondiale : la sécurité sociale, les services
publics, l’emploi à durée indéterminée, etc. Leur objectif c’est également, ça
va de pair, l’affaiblissement, voire la destruction de la force syndicale, qui
est le premier frein à leur offensive, avec le regroupement des organisations
de la gauche de gauche.
Si on ne procède pas à une redistribution radicale des
richesses, du Capital vers le Travail et une réforme en profondeur de la
fiscalité pour faire payer les gens au prorata de leurs revenus et patrimoines,
alors, on peut s’attendre à des catastrophes sociales bien plus grandes encore.
Les syndicats se sont mobilisés contre le
plan d’austérité, à travers des rassemblements, des manifestations, des grèves,
en particulier la grève nationale interprofessionnelle du 30 janvier dernier.
Mais, cela n’a pas pour autant fait reculer
le gouvernement, ni le parlement.
Quelles leçons en tires-tu pour le mouvement
syndical qui, qu’on le veuille ou non, reste la force essentielle pour faire
changer les choses ?
Daniel Richard :
D’abord, ces grèves n’ont pas été inutiles. Mais, nous sommes amenés à
avoir un vrai débat sur la stratégie syndicale qui ne peut être postposé vu
l’ampleur de l’offensive contre nos acquis.
Je pense d’abord qu’au sein de mouvement syndical, de mon
organisation également, on ne fait pas
tous la même analyse de la crise de 2008. On n’est pas tous sur la même
longueur d’onde en ce qui concerne l’analyse du rapport conflictuel
central : Capital-Travail.
On risque aussi d’être seuls au niveau wallon dans la confrontation avec
les mesures prises au niveau fédéral, vu, par exemple, les réalités économiques
différentes avec la Flandre, région plus riche.
Et puis, un des critères pour mener une politique
progressiste, de gauche, c’est le refus de s’inscrire dans le cadre, défini et
imposé, au niveau européen, pas seulement par les forces réactionnaires. J’ai
déjà dit que notre premier ministre s’inscrivait dans ce cadre.
Pour le mouvement syndical, une des
questions n’est-elle pas : comment inverser la tendance, comment
changer les rapports de force capital-travail ?
Dans la « Lettre ouverte aux
syndicalistes », nous considérons que le mouvement syndical doit passer de
la défense à l’offensive, lutter pour imposer son propre programme, un
programme d’urgence sociale, un programme anticapitaliste.
Quelles revendications t’apparaissent-elles
urgentes et indispensables dans la lutte pour changer les rapports de
force ?
Daniel Richard : les mesures
prioritaires, mais qui sont difficiles à populariser, cela doit être les
mesures fiscales, avec la progressivité de l’impôt, à travers la restauration
des tranches d’imposition et la globalisation des revenus dans le calcul de
l’impôt sur les personnes physiques, qui permet de faire contribuer d’autres
revenus que ceux du Travail et d’établir une véritable justice fiscale. Ce sont
des mesures faciles à prendre sur le plan technique. Cela implique la levée
totale du secret bancaire. Cela implique aussi qu’on aborde le statut de la
Belgique comme paradis fiscal, de manière claire.
Mais il y a aussi d’autres éléments. Va-t-on continuer
cette gabegie des intérêts notionnels qui représentent annuellement un manque à
gagner pour l’Etat de quelque 5 milliards d’euros bruts (3 milliards nets). Il
y a aussi un autre combat à mener à propos de la dette publique, par exemple
sur un audit de cette dette – à quoi a servi cette dette- pour déboucher
logiquement sur une annulation de la dette illégitime et odieuse Est-ce qu’il
n’y pas des parties de cette dette qu’on peut qualifier d’illégitime ? Le
renflouement des banques, payé par un appauvrissement de la population, ça va
directement à l’encontre des garanties données par la Constitution aux droits
sociaux.
Il y a aussi le cadre européen à dénoncer. L’urgence est
là aussi. Est-ce qu’on accepte que le gouvernement fasse passer, dans la
Constitution, la « règle d’or », avec l’aval du parlement, sans débat
populaire ?
On parle de relance économique. Mais quel type de
développement voulons-nous, en voyant que la crise n’est pas seulement sur le
plan économique. Il y a d’autres enjeux liés à cette crise économique : la
crise alimentaire mondiale, la crise énergétique, le réchauffement climatique…
Le mouvement syndical doit s’emparer de toutes ces
questions, les traduire en termes de revendications et de mobilisation.
Pour changer les rapports de force, il y a
également la question des moyens d’action à la hauteur des défis et de
l’ampleur de l’offensive d’un patronat, épaulé par le pouvoir politique. La
perception, chez les travailleur/euse/s,
de manifestation et mobilisations sans lendemain est bien réelle.
Daniel Richard :
Il suffit de voir ce qui nous attend dans les prochain mois et années pour se
rendre compte de la nécessité d’élaborer, au niveau syndical, un plan d’action
interprofessionnel, au niveau national et en front commun.
Il y a maintenant un calendrier établi par les institutions européennes,
semestre par semestre, avec des recommandations et injonctions sur l’index, sur
les retraites, sur le déficit budgétaire, l’endettement, etc.
Il y a le calendrier en Belgique. En juin, les
négociations sur le plan de relance, la compétitivité. En septembre, la liaison
des allocations sociales au bien-être, avec la question de l’affectation ou non
de 600 milliards d’euros à cette liaison. En automne, le démarrage de la
discussion sur le nouvel accord interprofessionnel pour 2013-14. Et, pour moi,
un relèvement important du salaire minimum interprofessionnel garanti doit en
être un élément important. Et puis, le débat budgétaire va revenir tous les 6
mois. Et on sait bien que les 14 milliards d’euros pour éponger le déficit
budgétaire en 2012, ce n’est qu’un début et que cela va se traduire par
d’autres plans d’austérité et de régression sociale.
A ce propos, posons-nous la question à propos de
l’offensive actuelle sur l’indexation des salaires. N’est-ce pas, en partie,
une manœuvre habile, une manière d’agiter l’épouvantail pour faire avaler plus
facilement de nouvelles mesures de régression sociale ?
Ma régionale syndicale demande, depuis 3 ans, un vrai débat
dans nos instances, sur un plan de mobilisation, avec des objectifs et
échéances précises.
Avec l’ampleur des attaques et des mesures de régression
sociale qu’on vient de subir et ce qui nous attend pour la suite, ce débat n’en
est que plus urgent.
Dans la Lettre ouverte, adressée par la LCR
aux syndicalistes, nous soulevons également un autre rôle qu’il appartient,
selon nous, au mouvement syndical de jouer : « le syndicat peut et
doit favoriser la formation d’une alternative politique…qui soit aussi fidèle
au monde du travail que les partis actuels sont fidèles au capital ».
La critique du PS par des syndicalistes est
montée d’un cran, après les mesures antisociales, prises par ce gouvernement,
mené par un premier ministre socialiste. Le PS peut-il encore être le relais
politique des aspirations et revendications du monde du travail ?
Action CGSP Verviers décembre 201 |
Daniel
Richard : D’abord, c’est le rôle du syndicat, et même sa raison
d’être, non seulement de défendre les travailleurs sur le terrain des
entreprises, mais aussi d’imposer une autre politique.
Quand on voit le comportement politique des partis
sociaux-démocrates et des gouvernements dirigés par ces partis, en Grèce, en Espagne, au Portugal et
également en Belgique, on n’est pas étonné de rencontrer des syndicalistes,
membres du PS, qui se désaffilient de ce parti. Et si celui-ci continue à porter et assumer ce type de politique, alors
il faudra s’attendre à d’autres défections.
Si le PS peut-il être encore un relais politique pour le
monde du travail ? Cela dépend de quoi on parle. Sur l’index, il est
actuellement le relais de la revendication syndicale. Sur les mesures
concernant les chômeurs, là, comme je l’ai dit, il s’est inscrit, avec le
gouvernement Di Rupo, dans une attaque d’envergure des chômeurs. On peut
continuer : Di Rupo et le PS assument le pacte « Euro Plus »,
avec ses directives de régression sociale pour les gouvernements de l’UE.
Ceci dit, je pense qu’il est nécessaire d’avoir, à la
gauche du PS et d’Ecolo, une force politique plus importante, mieux structurée,
plus crédible et unitaire que ce qui existe à l’heure actuelle. Et j’encourage
un front de gauche, partageant et portant, sur le terrain politique, le
programme de revendication de la FGTB wallonne par exemple.
Je peux comprendre que des secteurs du mouvement syndical,
comme vient de le faire Daniel Piron, secrétaire régional de la FGTB de
Charleroi-Sud Hainaut, appellent, dès aujourd’hui, à la création d’un nouveau
parti qui puisse porter les revendications et besoins du monde du travail. Mais
je me pose la question de l’impact électoral que pourrait avoir, aujourd’hui, une
telle formation, comme d’ailleurs le parti que vient de créer Bernard
Wesphael, dans le contexte francophone
en particulier, où le PS et Ecolo sont des formations politiques, avec des
scores électoraux encore impressionnants, malgré les politiques qu’elles
mènent.
Cela m’amène à avoir des doutes, non pas sur la
nécessité et l’utilité d’une gauche de
gauche. C’est un ferment nécessaire pour nourrir et crédibiliser une
alternative, y compris pour faire pression sur le PS. Mais, sur l’impact électoral qu’elle peut
avoir à l’heure actuelle, là je suis sceptique. L’expérience électorale de
Gauches Unies, dans les années 1990, a certainement été pour beaucoup dans la
disparition de GU.
Comment vois-tu la place et le rôle des
formations de la gauche radicale (PTB, LCR, PSL, PC…) dans cette perspective de
construction de l’alternative politique ?
Daniel
Richard : Comme
syndicaliste, je l’ai dit, je souhaite que se construise, à la gauche du PS et
Ecolo, une force politique plus importante, avec des organisations qui, tout en
respectant l’identité de chacune, sache s’unifier sur des objectifs communs. Et qu’elle puisse attirer, dans
l’action, sur les enjeux actuels, dans
l’affrontement Capital-travail, des membres d’autres partis et des mouvements
sociaux. Qu’elle puisse ainsi également secouer le PS.
Je constate que le PTB a l’ambition de se poser en axe
central de ce rassemblement. C’est une démarche problématique qui peut
empêcher la constitution d’une force
unitaire. J’ai lu les récentes déclarations de son porte-parole, avec une
tonalité nouvelle, mettant l’accent sur la nécessité d’une convergence des
gauches politiques. Cette ouverture ne m’apparait pas toujours traduite dans
les faits par l’organisation qu’il représente. Rassembler implique généralement
des renoncements…
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