Dans l’interview qu’il a donnée récemment à
un quotidien francophone, Elio Di Rupo déclarait : « Il faut de la
rigueur, mais on ne doit pas casser notre modèle social ».
Que penses-tu de cette déclaration ?
Egidio Di
Panfilo : je constate que, dans toute une série de pays européens, les
gouvernements mettent en place des plans d’austérité qui provoquent un
appauvrissement de couches de plus en plus grandes des populations, avec de terribles
souffrances. La Grèce en est un des exemples les plus dramatiques. Partout, les
mesures prises visent à attaquer durement ce qui reste de nos conquêtes sociales.
Et la Belgique ne fait pas exception. Le gouvernement, avec un premier ministre
issu d’un parti dit socialiste, vient d’imposer une première vague de mesures
d’austérité et de régression sociale d’une ampleur qu’on n’avait pas connue
jusqu’à présent. Et les économies chiffrées à prendre, d’ici 2015, pour résorber le déficit budgétaire nous indiquent
bien que les attaques sur ce qu’était notre « modèle social » vont
continuer.
Nous sommes à un moment charnière de l’histoire sociale
de l’Europe et de notre pays.
On a connu récemment des mobilisations
syndicales importantes contre ce premier train de mesures d’austérité : la
grève de 24 heures dans les services publics en décembre 2011 et surtout la
grève nationale, interprofessionnelle, en front commun syndical du 30 janvier
2012. Mais, sur l’essentiel de mesures prises, ces mobilisations n’ont pas fait
reculer le gouvernement. Quelles leçons en tires-tu au niveau syndical ?
Les plans et les moyens de mobilisation sont-ils à la hauteur des défis
rencontrés ?
Egidio Di Panfilo :
nous avons un problème de mobilisation. Ce n’est pas seulement la couche des
cadres syndicaux, des délégués qui doit être mobilisée, mais l’ensemble des
travailleur/euse/s. Il nous fait mobiliser le plus largement possible. Je
pense, entre autre, à ces centaines de milliers de chômeur/euse/s qui subissent
le plus la régression sociale et qui ne sont pas mobilisés.
Il nous faut mener
un travail d’information en profondeur, ouvrir les yeux sur ce qui nous attend,
comme en Allemagne, par exemple. Il y en encore qui ose parler de « modèle
allemand ».
Il nous faut, comme mouvement syndical, créer et
renforcer les liens entre travailleurs et allocataires sociaux, avec les autres
mouvements sociaux.
Dans ce pays, travailleurs et travailleuses syndiqué/e/s,
du privé et des services publics, affilié/e/s aux trois syndicats, FGTB, CSC,
Libéraux, nous représentons une force de quelque 3,5 millions de personnes. Une
force qui devrait être en mesure de faire barrage au rouleau compresseur sur
nos conquêtes sociales. Effectivement, face aux terribles défis qui sont devant
nous, nous devons tirer les leçons sur nos plans et moyens d’action.
Dans la « Lettre ouverte aux
syndicalistes », nous faisons le constat, et nous ne sommes pas seuls à le
dire, que le mouvement syndical est à la croisée des chemins. Va-t-il passer de
la défensive à l’offensive ? Va-t-il avoir la capacité et la volonté de
mobiliser sur un programme clair, un programme anticapitaliste, d’urgence
sociale ?
Egidio Di
Panfilo : D’abord, il faut le rappeler, le mouvement syndical tient un
rôle central pour combattre l’austérité. Il doit être un contre-pouvoir.
Dans les mobilisations récentes, notre position de départ
a été de dire clairement stop à ces mesures de régression sociale, car ce n’est
pas aux travailleur/euse/s, aux allocataires sociaux de faire les frais de la
crise. C’est aux capitalistes de payer leurs crises.
Nous avons un programme d’urgence sociale. Avant tout, il
faut préserver le pouvoir d’achat des travailleurs et allocataire sociaux. Il y
a la question salariale. Pourquoi devrions-nous céder à tout ce matraquage sur
la compétitivité, quand beaucoup de grosses entreprises redistribuent à leurs
actionnaires des dividendes extraordinaires ?
Bien sûr, il y a aussi l’urgence d’une autre fiscalité,
une justice fiscale, qui est quand même la meilleure manière de redistribuer
les richesses produites par les travailleurs.
Sans oublier ces fameux intérêts notionnels et tous ces
cadeaux aux entreprises, surtout aux multinationales qui ne paient quasiment
pas d’impôts, sans pour autant investir dans la production, préserver et créer
de l’emploi.
Il nous faut effectivement avancer des objectifs clairs
et qui, inévitablement, attaquent de front les intérêts des capitalistes et des
groupes financiers. Je pense à la revendication avancée par le SETCA Liège,
mais aussi la FGTB Liégeoise concernant la fermeture de la phase à chaud de
ArcelorMittal Liège, décrétée par son
PDG, Lakshmi Mittal, 6ème fortune mondiale. Cette revendication,
c’est la nationalisation, régionalisation ou mise sous statut public
d’ArcelorMittal Liège, en dégageant Mittal et en se réappropriant les outils.
Bien sûr, ça ne nous tombera pas tout cuit. Là aussi, ça implique un véritable plan de mobilisation.
Projet irréaliste ? Nous avons organisé une visite,
dans le Land allemand de la Saar, où se trouve une entreprise sidérurgique,
ex-propriété de Mittal, qui a été reprise par le gouvernement du Land, en partenariat
avec les travailleurs et qui fonctionne très bien.
Au-delà et en liaison avec les problèmes de
stratégie syndicale, va se poser, selon nous, de plus en plus le problème de
l’alternative politique.
Dans notre Lettre ouverte aux syndicalistes,
nous écrivons : « le syndicat ne peut évidemment pas se transformer
en parti. Par contre, il peut et doit favoriser la formation d’une alternative
politique. Il peut et doit exiger de celles et ceux qui se réclament du monde
du travail sur le terrain politique qu’ils s’unissent pour porter ensemble un
programme de gauche. Il peut et doit exiger que cette alternative soit aussi
fidèle au monde du travail que les partis actuels sont fidèles au
capital ». Et, dans ces partis actuels, nous pointons également le Parti
socialiste.
Comment vois-tu ce problème du relais
politique du monde du travail et le rôle du syndicat dans cette démarche ?
Egidio Di
Panfilo : je ne suis pas demandeur pour que le syndicat pousse à la
formation d’un nouveau parti politique. D’abord parce que je ne vois pas
actuellement un leader, comme par exemple Jean-Luc Mélanchon en France, capable
d’unir derrière lui des forces syndicales. Et puis, nous ne pouvons pas nous
couper totalement des relais qu’a la FGTB, en région francophone, avec le PS,
même si les lignes directrices du PS ne nous conviennent pas du tout. Nous
avions d’ailleurs écrit, il y a un peu plus d’un an au PS, en plaidant pour
qu’il ne rentre pas dans un nouveau gouvernement qui serait de droite.
Il y a encore des gens à gauche dans le PS et nous
espérons encore que des élus, des parlementaires de ce parti relaient et
défendent les revendications syndicales.
Mais le jour où le PS devrait céder sur l’indexation des
salaires, alors, pour moi, cela devra
entrainer la rupture entre la FGTB et le PS.
Et la gauche radicale, la gauche de gauche,
comment la perçois-tu, le PTB, la LCR, PSL, le PC… ?
Egidio Di
Panfilo : Même si elle est encore relativement petite, elle joue un
rôle important dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une alternative
politique, à la gauche du PS et Ecolo. Encore faut-il que les éléments
d’alternatives, avancés par les uns et les autres, soient suffisamment
crédibles et compréhensibles par des couches plus larges de la population. Et
aussi que cette gauche sache dépasser
ses divisions et les problèmes de personnalités.
Je m’en voudrais de ne pas mentionner une chose qui m’inquiète
profondément, c’est le score de Marine Le Pen en France et de constater son
impact chez les travailleurs, confirmé par un sondage IFOP, et surtout chez les
exclus de la société.
Alors, j’en suis bien conscient, cela doit nous pousser, comme syndicalistes,
à être une véritable force pour le changement, pour répondre aux aspirations,
aux revendications, aux besoins concrets
des gens.
Propos recueillis
par Denis Horman, avril 2012.
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